Lettre de Benoît XVI à l’Eglise catholique en Chine

Lettre de Benoît XVI à l’Église catholique en Chine, éclairages

chine2_ciric250

Le 27 mai 2007, le Pape Benoît XVI a adressé une lettre aux évêques, prêtres, consacrés et laïcs de l’Eglise catholique en République populaire de Chine. Publiée en chinois, anglais, français et italien, elle se compose de deux parties (« Situation de l’Eglise. Aspects théologiques », « Orientations pour la vie pastorale ») et d’une conclusion. Elle est accompagnée d’une note explicative qui retrace, notamment, la situation de l’Eglise en Chine ces 50 dernières années.
Quelle est la portée de ce texte ? Dans quel contexte s’inscrit-il ? Regards croisés du père Charbonnier et de Régis Anouil, des Missions étrangères de Paris.

Interview du père Charbonnier, Directeur du Service Relais France Chine aux Missions étrangères de Paris

Quelle est l’importance de cette lettre ?
Elle était attendue depuis janvier puisqu’elle avait été annoncée à la réunion qui a eu lieu à Rome avec des évêques chinois. Elle a été présentée au gouvernement chinois un peu à l’avance, ce qui explique peut-être le délai qu’il y a eu avant publication.C’est un événement important qui marque une étape historique. C’est une clarification de la part du pape, car il y a eu beaucoup de confusion ces dernières années en Chine du fait de la division entre les catholiques.

Entre l’Eglise officielle et l’Eglise clandestine ?
On parlait injustement de deux Eglises et un point important de la lettre est de marquer qu’il n’y a qu’une seule Eglise en Chine. A travers cette lettre le Pape s’adresse à tous les évêques, prêtres et fidèles. Il parle des divisions entre clandestins et officiels, mais il ne parle pas de deux Eglises.

En quoi y a-t-il une clarification ?
La lettre indique les voies de coopération avec le gouvernement chinois en appréciant les progrès qui ont été réalisés ces dernières années, en souhaitant que les catholiques chinois puissent remplir leur rôle de citoyens, tout en demandant au gouvernement de leur laisser la liberté religieuse. Il rappelle au gouvernement que l’Eglise est gouvernée par les évêques et que le gouvernement n’a pas à nommer les évêques ni s’ingérer dans les affaires religieuses. Il souhaite une coopération entre Etat et Eglise dans le respect de l’autonomie de chacun.

Que devient le contentieux sur les nominations d’évêques ?
Le pape recommande aux évêques secrètement approuvés par Rome de mieux faire connaître qu’ils sont en union avec le Siège apostolique et aux évêques clandestins de chercher à être reconnus officiellement par l’Etat.
Il souligne que les ordinations illicites des évêques qui n’ont pas fait de demande pour être reconnus, n’en sont pas moins valides, comme sont valides les sacrements qu’ils administrent.Il rassure ainsi les fidèles « clandestins » qui craignaient de pêcher en recevant les sacrements administrés par ces évêques.
Les restrictions antérieures publiées en 1988 sont révoquées et remplacées par de nouvelles dispositions qui constituent de nouvelles bases pour une meilleure entente entre les catholiques et entre l’Eglise catholique et le gouvernement. Ces directives de 88 portaient notamment sur la communion avec les évêques non reconnus par Rome. Depuis ils ont été pratiquement tous reconnus.

Quel peut être l’effet immédiat de cette lettre auprès des catholiques et du gouvernement chinois ?
Aujourd’hui les choses sont plus claires. Les directives s’adressent à tous les catholiques en essayant de favoriser leur communion. Le gouvernement n’a pas opposé de rejet à la lettre du pape. Sa réponse est mesurée. Le ministère des Affaires étrangères s’abrite encore officiellement derrière la condition répétée que tout accord passe d’abord par une rupture du Vatican avec Taïwan. Mais pour Rome c’est une question secondaire. Le Vatican a déjà annoncé que si le gouvernement de la République populaire de Chine était d’accord avec sa position sur les nominations d’évêques et pratiquait une véritable liberté religieuse, l’ambassade serait déplacée de Taïwan à Pékin.Dans l’ensemble cette Lettre est amicale pour la Chine. C’est une base de discussion sur des questions précises.

Repères sur l’Eglise en République populaire de Chine

Bien que les statistiques en la matière restent difficiles à vérifier, les estimations portent sur un nombre de catholiques oscillant entre 10 et 12 millions. Selon les provinces, les catholiques affiliés à l’Eglise officielle représenteraient 60 % et les catholiques clandestins 40 % mais de nombreux catholiques « clandestins » fréquentent les église officielles où le prêtre et l’évêque sont reconnus par le Vatican.
La Chine compte 138 diocèses avec plus de 40 sièges vacants et 60 % des évêques ont plus de 75 ans. On compte plus de 2 200 prêtres « officiels » dont les trois quarts ont été ordonnés durant ces 12 dernières années, tandis que 1 300 séminaristes étudient dans 19 grands séminaires approuvés par le gouvernement. On estime que près de 800 autres étudient dans une dizaine de séminaires clandestins.
Sur les 5 200 religieuses, très jeunes pour la majorité d’entre elles, les « clandestines » sont estimées au nombre de 2 000.
Les répressions contre les catholiques et plus particulièrement les « clandestins » n’ont jamais cessé ; en dépit des progrès réalisés en matière de liberté religieuse, les observateurs parlent de 18 évêques et 19 prêtres incarcérés. La dernière incarcération connue est celle de Mgr Wu Qinjing, évêque de Zhouzhi, âgé de 38 ans, dans la province de Shaanxi, le 17 mars dernier.
(mai 2007)

« Avance au large », Régis Anouil, Rédacteur en chef d’Eglises d’Asie, agence d’information des Missions Etrangères de Paris

« Duc in altum. » (Luc, 5, 4) ‘Avance au large’. Telle est l’invitation que Benoît XVI a adressée samedi dernier « aux évêques, aux prêtres, aux personnes consacrées et aux fidèles laïcs de l’Eglise catholique en République populaire de Chine ». Sa lettre était attendue depuis plusieurs mois, elle fera date par sa portée – elle annule « toutes les facultés qui avaient été concédées pour faire face à des exigences pastorales particulières, nées en des temps spécialement difficiles » – et par sa signification….

Au fil d’une lettre longue de 24 pages, Benoît XVI n’apporte aucun élément nouveau ou contraire à ce que son prédécesseur avait pu dire aux catholiques de Chine durant son long pontificat. Pas plus qu’il n’indique un changement de direction dans ce qu’est « la politique » du Saint-Siège vis-à-vis de Pékin. Non, il se saisit de l’occasion pour rappeler aux catholiques de Chine, et au premier chef à leurs évêques, l’urgence du temps présent : « la nouvelle évangélisation ». Si normalisation il doit y avoir au sujet des questions concernant l’Eglise de Chine, elle est bien là : le pape note que « le peuple » chinois « s’est mis en marche pour parvenir à des objectifs significatifs de progrès, dans les domaines économique et social, suscitant l’intérêt du monde entier » ; ce réveil économique – et « la recherche de modernité » qu’il induit – s’accompagnent d’un double phénomène : « D’une part, on note, spécialement parmi les jeunes, un intérêt croissant pour la dimension spirituelle et transcendante de la personne humaine, avec comme conséquence un intérêt pour la religion, particulièrement pour le christianisme. D’autre part, on remarque, en Chine aussi, la tendance au matérialisme et à l’hédonisme, qui, à partir des grandes villes, est en train de se répandre à l’intérieur du pays. »

Le constat est informé et lucide : la Chine est arrivée à un stade de développement où le seul enrichissement matériel ne suffit à nourrir les Chinois et où ceux-ci se montrent ouverts et curieux des choses de l’esprit et de la religion ; en même temps, il est urgent d’agir si l’on ne veut pas que cette ouverture et curiosité soient étouffées par une modernité synonyme d’athéisme. Les ouvriers pour travailler à cette vigne immense sont peu nombreux. Benoît XVI parle de l’Eglise catholique en Chine comme d’« un petit troupeau présent et agissant dans le vaste territoire d’un peuple immense qui marche dans l’histoire ».
A ce « petit troupeau » (1 % du 1,3 milliard de Chinois), le pape adresse un message à la tonalité éminemment pastorale. Il revient à grands traits sur l’histoire de ces cinquante dernières années pour dire sa compréhension de la complexité de la situation de l’Eglise de Chine d’aujourd’hui. Il souligne que c’est une communauté qui souffre de fortes oppositions, dues non pas à des positions doctrinales divergentes mais aux organismes imposés par le pouvoir pour contrôler cette Eglise. L’Association patriotique des catholiques chinois n’est jamais nommée, mais c’est bien d’elle dont est question et qui célèbrera son cinquantième anniversaire ce 15 juillet.

De cette Chine en plein essor, Benoît XVI dit ressentir « l’urgence de confirmer dans la foi les catholiques chinois et de favoriser leur unité ». C’est la raison d’être de sa lettre : donner des orientations théologiques et pastorales aux catholiques de Chine pour leur permettre d’« avancer au large ». Le pape se fait pédagogue et rappelle des évidences théologiques et ecclésiales : « La communion et l’unité sont des éléments essentiels et partie intégrante de l’Eglise catholique. » Dans le contexte chinois de ces dernières années, « les ministères pétrinien et épiscopal » ont été dépréciés. Le renouveau passe nécessairement par le retour de la figure du pape et de l’évêque au centre de la vie de l’Eglise. « Nihil sine Episcopo. » Rien sans l’évêque. Le principe pastoral et missionnaire traditionnel est rappelé.

Dans le contexte chinois, ce n’est pas là un rappel rigide à une discipline purement hiérarchique. Non, c’est bien le principe même de l’Eglise catholique qui est énoncé. Il ne s’agit pas de rechercher « un conflit permanent avec les Autorités civiles légitimes », mais il est inacceptable de se montrer « complaisant » envers ces autorités « quand ces dernières interfèrent de manière indue dans des matières qui concernent la foi et la discipline de l’Eglise ». Le projet d’une Eglise « indépendante » du Saint-Siège, dans le cadre religieux, est incompatible avec la doctrine catholique, réaffirme le pape.

Dans la Chine de 2007, où des évêques et des prêtres sont encore en prison, la situation n’est cependant pas identique à celle qui prévalait aux heures sombres du maoïsme triomphant ni même à celle des réformes de l’ère Deng Xiaoping. Dans ces années-là, les pressions étaient telles que l’on pouvait comprendre que certains, dans l’Eglise, cédaient aux autorités gouvernementales. Aujourd’hui, l’étau s’est desserré et le pape appelle le corps épiscopal à une unité visible.

« La clandestinité ne rentre pas dans la normalité de la vie de l’Eglise », écrit le pape et c’est aux autorités gouvernementales de reconnaître les évêques et les fidèles qui ont choisi la clandestinité par qu’ils ne pouvaient accepter, au nom de l’intégrité de leur foi, « l’ingérence d’organismes d’Etat dans ce qui touche à l’intime de la vie de l’Eglise ». Aux évêques « officiels », ordonnés sans l’accord du pape mais qui ont demandé et obtenu leur légitimation par Rome, le pape demande de poser « toujours plus de gestes sans équivoque de leur pleine communion avec le successeur de Pierre ». Et quant aux évêques, « en nombre très réduit », ordonnés sans mandat pontifical et non encore légitimés par Rome, il leur appartient de poser les gestes nécessaires pour parvenir à la communion avec le pape.

Les statistiques qui accompagnent la lettre le disent : 49 évêques sont décédés entre 2000 et 2007 ; pour 148 diocèses, l’Eglise de Chine compte une centaine d’évêques et « plus de 60 % d’entre eux ont plus de 80 ans ». L’urgence est là : aujourd’hui déjà, demain plus encore, le peuple des catholiques de Chine se retrouve sans pasteurs. La question des nominations épiscopales « est un des problèmes les plus délicats dans les relations du Saint-Siège » avec le gouvernement chinois. Benoît XVI est clair : « La nomination des évêques de la part du pape est la garantie de l’unité de l’Eglise et de la communion hiérarchique. » Mais c’est là une prérogative qui demeure dans le strict domaine religieux et que ne doit pas redouter Pékin. « Il ne s’agit […] pas d’une autorité politique qui s’introduirait de manière indue dans les affaires internes d’un Etat et en léserait la souveraineté », souligne le pape. Il insiste sur ce point et utilise toutefois le conditionnel (« Le Saint-Siège aimerait être entièrement libre de la nomination des évêques. ») pour dire son « souhait » de trouver un accord avec le gouvernement chinois quant aux modalités que peuvent revêtir ces nominations.

Benoît XVI reconnait que l’Eglise en Chine jouit, en regard du passé, d’une plus grande liberté religieuse, mais il ajoute aussitôt qu’il est indéniable que « demeurent de graves limitations qui touchent le cœur de la foi et qui, dans une certaine mesure, étouffent l’activité pastorale ». Comment accepter aujourd’hui, écrit-il en substance, que des évêques ne soient pas libres d’organiser les diocèses dont ils ont la charge ? Comment accepter que les évêques ne puissent se réunir en une conférence épiscopale maître de son ordre du jour et libre de ses débats ? Comment accepter que les évêques, individuellement et collectivement, ne puissent entretenir de rapports normaux avec Rome et le pape ? C’est donc bien au gouvernement chinois, celui qui se prépare à accueillir les Jeux olympiques à Pékin et une exposition universelle à Shanghai, ce gouvernement d’une Chine sûre d’elle-même, de montrer, par des gestes concrets, qu’il ne craint pas de respecter « une authentique liberté religieuse ». Quant au reste, c’est-à-dire notamment la normalisation des relations diplomatiques et le transfert de la nonciature apostolique de Taipei à Pékin, cela « demande du temps » et « présuppose la bonne volonté des deux parties ». Pour sa part, le Saint-Siège demeure toujours ouvert aux négociations, qui sont nécessaires pour dépasser le difficile moment présent, écrit encore le pape.

Régis Anouil
Rédacteur en chef d’Eglises d’Asie, agence d’information des Missions Etrangères de Paris.

Sur le même thème

ça peut également vous intéresser

vatican : lexique
le rôle des papes

en direct du Vatican