Le dialogue interreligieux en questions

Comment Benoît XVI aborde-t-il l’enjeu du dialogue interreligieux ?

« Le dialogue interreligieux et interculturel est une nécessité vitale. » Cologne 20 août 2006

A l’occasion des JMJ à Cologne, trois mois après son élection, Benoît XVI s’exprime pour la première fois sur ce sujet, dans un discours aux représentants de la communauté musulmane d’Allemagne :

« Ensemble, chrétiens et musulmans, nous devons faire face aux nombreux défis qui se posent en notre temps. Il n’y a pas de place pour l’apathie, ni pour l’inaction, et encore moins pour la partialité et le sectarisme. Nous ne devons pas céder à la peur ni au pessimisme. Nous devons plutôt cultiver l’optimisme et l’espérance. Le dialogue interreligieux et interculturel entre chrétiens et musulmans ne peut pas se réduire à un choix passager. C’est une nécessité vitale dont dépend en grande partie notre avenir. » 1

1. Documentation catholique, n° 2343, 2 octobre 2005.

Quel lien avec les Musulmans ?

Discours de Ratisbonne, 12 septembre 2006

Invité à s’exprimer dans l’Université de Ratisbonne où il avait été étudiant et professeur, le pape prononce un discours sur le thème « Foi, raison et université ». Ce discours suscite une polémique et des réactions vives dans le monde musulman à cause d’une référence faite au début de ce discours à une polémique, vers 1391, entre un empereur byzantin et un savant persan au sujet de la violence en matière de religion, citation mettant en cause le prophète Mohammed.
Devant l’ampleur de l’émotion suscitée dans le monde musulman, le pape réaffirme devant les ambassadeurs des pays musulmans son engagement dans la perspective tracée par le Concile Vatican II et le Pape Jean Paul II :

« Dans ce contexte particulier, je voudrais aujourd’hui redire toute l’estime et le profond respect que je porte aux croyants musulmans, rappelant les propos du Concile Vatican II qui sont pour l’Église catholique la Magna Carta du dialogue islamo-chrétien : « L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes et aux décrets duquel, même s’ils sont cachés, ils s’efforcent de se soumettre de toute leur âme, comme s’est soumis à Dieu Abraham, à qui la foi islamique se réfère volontiers» (Déclaration Nostra Aetate, n. 3).
(…) Dans un monde marqué par le relativisme et excluant trop souvent la transcendance de l’universalité de la raison, nous avons impérativement besoin d’un dialogue authentique entre les religions et entre les cultures, capable de nous aider à surmonter ensemble toutes les tensions, dans un esprit de collaboration fructueuse. Poursuivant l’œuvre entreprise par mon prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, je souhaite donc vivement que les relations confiantes qui se sont développées entre chrétiens et musulmans depuis de nombreuses années, non seulement se poursuivent, mais se développent dans un esprit de dialogue sincère et respectueux, fondé sur une connaissance réciproque toujours plus vraie qui, avec joie, reconnaît les valeurs religieuses que nous avons en commun et qui, avec loyauté, respecte les différences. »2

2. Discours aux ambassadeurs des pays musulmans, Castel gandolfo, 25 septembre 2006, DC 2366, 15/10 /2006

Quelles sont les bases du dialogue avec les Musulmans ?

Voyage en Turquie, 28 novembre -1er décembre 2006

A ceux qui s’interrogeaient sur son engagement dans la relation et le dialogue avec les musulmans, Benoît XVI apporte une réponse dans un discours adressé au responsable turc des affaires religieuses, à Ankara et dans un geste, celui de se recueillir au cours de la visite à la Mosquée Bleue d’Istanbul.

« Les chrétiens et les musulmans, suivant leur religion respective, mettent l’accent sur la vérité du caractère sacré et de la dignité de la personne. C’est la base de notre respect et de notre estime réciproque, c’est la base de la collaboration dans le service de la paix entre les nations et les peuples, qui est le désir le plus cher de tous les croyants et de toutes les personnes de bonne volonté. (…)
Comme exemple de respect fraternel avec lequel chrétiens et musulmans peuvent travailler ensemble, j’aime citer les paroles adressées par le pape Grégoire VII, en 1076, à un prince musulman d’Afrique du Nord, qui avait agi avec grande bonté envers les chrétiens placés sous sa juridiction. Le pape Grégoire VII parlait d’une charité spéciale que les chrétiens et les musulmans se doivent réciproquement, puisque « nous croyons et confessons un seul Dieu, même si c’est de manière différente, chaque jour nous le louons et le vénérons comme Créateur des siècles et gouverneur de ce monde » (PL 148, 451). »

Benoît XVI commente ainsi son moment de recueillement à la Mosquée Bleue à l’audience générale du 6 décembre 2006 :

« J’ai pu, dans le même temps, insister sur l’importance que les chrétiens et les musulmans s’engagent ensemble pour l’homme, pour la vie, pour la paix et la justice, en réaffirmant que la distinction entre le domaine civil et le domaine religieux constitue une valeur et que l’Etat doit garantir au citoyen et aux communautés religieuses la liberté effective de culte.
Dans le domaine du dialogue interreligieux, la Divine Providence m’a donné d’accomplir, presque à la fin de mon voyage, un geste qui n’était pas prévu au début, et qui s’est révélé très significatif : la visite à la célèbre Mosquée bleue d’Istanbul. En m’arrêtant quelques minutes pour me recueillir en ce lieu de prière, je me suis adressé à l’unique Seigneur du ciel et de la terre, Père miséricordieux de l’humanité tout entière. Puissent tous les croyants se reconnaître comme ses créatures et rendre le témoignage d’une véritable fraternité! » 3

3. Les deux discours se trouvent dans la Documentation catholique, n° 2371, 7 janvier 2007.

Quelle réponse à la « Lettre des 138 » ?

Réponse à la Lettre des 138 responsables musulmans, décembre 2007

En octobre 2007, à la fin du Ramadan, plus de 138 responsables musulmans, de divers courants et divers pays, ont adressé une Lettre intitulée « Vers une parole commune » au Pape et aux différents responsables des Eglises chrétiennes. Au nom du pape, le cardinal Bertone a répondu favorablement en proposant qu’une suite soit donnée : elle prend la forme d’une instance permanente de dialogue entre le Vatican et ces signataires. Sous la responsabilité du Cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pour le Dialogue Interreligieux, une première rencontre de travail aura lieu du 4 au 6 novembre 2008 à Rome.

Le pape Benoît XVI s’inscrit, selon ses propres dires, dans la ligne ouverte par le Concile Vatican II et promue par Jean-Paul II. Toutefois, il y apporte sa propre note en liant dialogue entre les religions et dialogue entre les cultures. Attentif à l’articulation entre la foi et la raison dans le discours des croyants, Benoît XVI entend placer le respect de la liberté de conscience et de la liberté religieuse au cœur des dialogues à venir.

L’Eglise de France est-elle engagée dans ce dialogue interreligieux ?

Dans l’Eglise catholique en France, le dialogue interreligieux est placé sous la responsabilité du Conseil pour les relations interreligieuses et les nouveaux mouvements religieux présidé par Mgr Michel Santier, évêque de Créteil. Mgr André Marceau, évêque de Perpignan, Mgr Jean-Yves Riocreux, évêque de Pontoise, Mgr André Dupleix, secrétaire général adjoint de l’Episcopat et huit experts (théologien(ne)s, spécialistes de l’Islam ou du Bouddhisme) en sont membres.

Le Service national pour les Relations avec l’Islam (SRI) a été créé par les évêques de France il y a 30 ans. Situé au 71 rue de Grenelle, Paris 7ème, avec comme Directeur le P. Christophe Roucou (Mission de France), il a pour mission de servir la rencontre entre les responsables de l’Eglise catholique et les responsables de la communauté musulmane et de former et soutenir les catholiques engagés dans ces relations. Dans 64 diocèses (sur 90) l’évêque a nommé un(e) délégué (e) ou correspondant (e) pour les relations avec l’Islam.

D’avril 2006 à novembre 2007, la Conférence des évêques de France a travaillé un dossier «Catholiques et musulmans dans la France d’aujourd’hui», dossier préparé par un groupe de travail présidé par Mgr Michel Dubost, évêque d’Evry-Corbeil. En conclusion de leurs travaux, à Lourdes en novembre 2007, les évêques de France ont réaffirmé leur engagement dans un dialogue lucide entre catholiques et musulmans, un dialogue qui ne passe pas sous silence ce qui fait problème mais qui serve la vie ensemble dans une société française pluriculturelle et pluri-religieuse et le témoignage rendu à Dieu foi dans une société très sécularisée.

Quelle est la situation actuelle du dialogue islamo-chrétien ?

La situation présente

Les relations entre catholiques et musulmans sont complexes et ne sont pas les mêmes suivant les régions de France. Il convient d’éviter tout simplisme. Devant les évolutions de l’Islam en France et les répercussions des événements dans le monde musulman, nous constatons des craintes voire des peurs chez des citoyens français, y compris au sein des communautés catholiques.

C’est au quotidien (école, quartiers, travail, universités…) que des catholiques côtoient des musulmans. De nouvelles questions pastorales surgissent : multiplication des mariages entre personnes appartenant à des traditions religieuses différentes, conversions de part et d’autre, sollicitations de la part des autorités publiques pour faire intervenir les responsables religieux dans le lien social.

Evêques et prêtres sont conduits par la situation présente et par les exigences évangéliques à tenir des tensions : promouvoir l’attitude évangélique de rencontre et de dialogue avec tous, et parmi eux les musulmans et, dans le même temps, répondre aux craintes et aux questions pastorales engendrées par ce nouveau contexte ; tenir à la fois le dialogue et la proposition de la foi, affirmer l’identité chrétienne sans crispation identitaire, former les catholiques et les pasteurs à cette attitude.

De nombreux groupes de dialogue existent dans les différentes régions de France, les initiatives dans le sens de la rencontre et du dialogue sont plutôt en augmentation, les demandes de formation à la connaissance de l’Islam et au dialogue islamo-chrétien sont fortes.

Quelles sont les initiatives dans le dialogue de l’Eglise catholique de France avec l’Islam et les Musulmans ?

* Voyage en Algérie d’une délégation islamo-chrétienne, 17-21 février 2007, conduite par le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon et Mr Azzedine Gaci, président du CRCM de Rhône Alpes, formée de 8 catholiques et 8 musulmans. Ce pèlerinage en souvenir des moines assassinés à Tibhirine en 1996, pèlerinage d’amitié entre musulmans et chrétiens, entre Français et Algériens marque durablement les relations entre catholiques et musulmans de la région Rhône-Alpes.

* Première rencontre Imams / Prêtres, à Lyon. Le 17 novembre 2007 à Lyon, à l’initiative du Cardinal Philippe Barbarin et de Mr Azzedine Gaci, plus de 200 responsables musulmans et chrétiens de cette région se sont rencontrés pour une journée d’échanges. Cette initiative devrait se reproduire chaque année.

* Semaine Islamo-Chrétienne, organisée chaque année en novembre par le GAIC (Groupe d’Amitié Islamo-chrétien), la dernière semaine de novembre dans plus de 40 villes de France, en collaboration avec des institutions de formation musulmane et chrétienne. Cette semaine prend maintenant une dimension européenne : Royaume-Uni, Pays-Bas. Cette association islamo-chrétienne en est le maître d’œuvre, le SRI participe à certaines initiatives.

* Enseignement catholique : de nombreux enfants musulmans sont accueillis dans les écoles catholiques ; dans certains quartiers populaires de grandes villes (à Marseille, dans le Nord) ils peuvent constituer le tiers ou la moitié des effectifs. Un travail est mené en commun par le SRI et le Secrétariat général de l’Enseignement catholique pour fournir des éléments de réflexion aux personnels éducatifs et enseignants.

* Monastères : le DIM (Dialogue Inter Monastique), après s’être engagé loin dans le dialogue avec les moines bouddhistes, se demande comment les monastères, avec leur vocation propre, peuvent prendre part aux relations entre chrétiens et musulmans. Depuis 12 ans, le monastère cistercien d’Aiguebelle accueille une rencontre islamo-chrétienne annuelle, liée à la mémoire des frères assassinés à Tibhirine (Algérie). L’abbaye bénédictine d’En Calcat voudrait servir à la rencontre entre des jeunes chrétiens et des jeunes musulmans.

* Formation : Pour former des chrétiens à la connaissance des autres religions et à la rencontre, des structures de formation et de recherche existent dans les différents Instituts catholiques : Instituts de sciences et de théologie des religions (ISTR) à Paris, Marseille, Toulouse et Départements au sein des facultés de théologie à Angers, Lille, Lyon, aux facultés jésuites de Paris.
Le SRI propose des sessions de formation et intervient dans de multiples journées de formation organisée par des services de formation des diocèses de France.

* Réflexions de la Conférences des évêques de France :
Une note doctrinale : à la suite des échanges en assemblée plénière à Lourdes en novembre 2007, les évêques ont demandé à la Commission doctrinale de préciser points communs et différences théologiques à propos de Dieu. La Commission doctrinale des évêques a publié une note intitulée : « Comment musulmans et chrétiens parlent-ils de Dieu ? »
Séance de travail sur la « Lettre des 138 » : le 4 juin une séance de travail a rassemblé une quinzaine d’évêques et certains responsables pour travailler la « Lettre des 138 », avec la participation d’une des signataires de ce texte.

En France, dans quelle réalité l’Eglise catholique s’inscrit-elle ?

La France a la communauté musulmane d’Europe la plus nombreuse, la communauté juive la plus importante et le plus grand nombre de Bouddhistes en Europe.

Cette situation originale est source de responsabilité : l’Eglise catholique entend prendre en compte cette réalité avec le double souci de servir le « vivre ensemble » dans la société française particulièrement dans les quartiers dits populaires et de permettre une expression de la foi en Dieu comme chemin de vie au sein d’une société si sécularisée.

Elle ne méconnaît pas les difficultés et raidissements que l’on perçoit de part et d’autre mais à cause de sa foi au Christ elle entend favoriser tout ce qui peut servir la rencontre et le dialogue avec le souci de les vivre dans l’amour et selon la vérité, pas l’un sans l’autre (Psaume 84).

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