« Initiatives et renouvellement dans la Pastorale Rurale », par Mgr Charrier

Session des Vicaires Épiscopaux et des délégués diocésains du rural, 16 – 17 avril 2012

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S’agissant de « l’avenir des communautés chrétiennes », nous ne prétendons pas plus que qui que ce soit énoncer une parole catégorique : dans ce domaine, l’humilité s’impose. Cela vaut pour les théologiens comme pour les pasteurs. Il faut commencer par rendre hommage aux communautés, pasteurs compris, qui, dans le contexte que nous connaissons, témoignent avec courage et fidélité de l’Evangile du salut.
Ainsi s’ouvrait la réflexion des deux théologiens qui sont intervenus à l’assemblée des évêques de mars 2010 sur le thème : « Demain, la vie de nos communautés ».

1ère partie : Quelle interprétation de notre situation ecclésiale ?

La situation de notre Eglise en France, et tout particulièrement dans l’espace rural est, pour le moins, préoccupante. Comment lire, comment interpréter cette situation ?

1. Reconnaissons d’abord qu’il y eut une belle inscription, un bel enracinement de la foi chrétienne dans nos territoires ruraux.
Les gens en gardent la nostalgie. Ils s’y accrochent alors même qu’ils sont ailleurs. Le sol a bougé… Quelle fut cette inscription ? Ou plutôt ces inscriptions successives, au cours de l’histoire.
– Le réseau de nos paroisses rurales est pratiquement constitué dès le 13ème siècle. Notre territoire – je parle du diocèse de Tulle – est couvert d’églises souvent de grande qualité architecturale, certaines de l’époque romane.
– Abbayes et prieurés témoignent d’un riche passé monastique, notamment au 12ème siècle (Tulle, Beaulieu, Vigeois, Meymac, Arnac, Aubazine, Saint Angel).
– Au 17ème siècle, certaines églises ont reçu le somptueux décor des retables où, au lendemain de la réforme catholique, la foi s’exprime avec force et exubérance.
– En 2008, nous avons ravivé la mémoire missionnaire de ce diocèse. C’était l’année des 350 ans de la création des Missions Etrangères de Paris, et des 200 ans de la naissance de St Pierre Dumoulin Borie, prêtre corrézien martyrisé au Tonkin à l’âge de 30 ans, alors qu’il venait d’être nommé vicaire apostolique. Nous avons appris avec étonnement et émerveillement que 41 prêtres originaires de ce diocèse étaient partis en mission dans les lointains pays d’Asie.
– Et puis il y a eu les belles heures de l’Action Catholique, la J.A.C. et le C.M.R. qui ont donné des acteurs de changement et de développement pour un monde rural en mutation. Sans parler de la Mission de France.
– De telles inscriptions dans le territoire ne se sont pas faites sans difficultés ni crises. Cette inscription d’hier est-elle vide de sens aujourd’hui, est-elle histoire sans force pour nous? A propos du patrimoine architectural, Claude Dagens a écrit quelques pages sur la tentation de « réduction culturelle qui voudrait nous condamner à n’être que des gardiens de musées sans clientèle ». (Méditation sur l’Eglise catholique en France : libre et présente -Cerf 2008 – p. 25). Et de défendre la mise en valeur ecclésiale de ce patrimoine.

2. Déclin ou sortie ? Peut-il y avoir une nouvelle inscription de la foi dans le champ social ?

– On connaît les lectures sociologiques de notre situation : la baisse de la pratique religieuse, le vieillissement des prêtres, la pénurie des vocations. Elles font la part belle aux statistiques. Elles alourdissent et renforcent la perception que beaucoup de gens peuvent avoir. Témoin, les conclusions d’un auteur corrézien qui vient de sortir un Dictionnaire biographique du clergé corrézien de 1800 à nos jours. Le diagnostic est catastrophique, et profondément injuste. Il aurait pu commencer son enquête au 16ème siècle. Il aurait eu alors d’autres statistiques pour accroître le sentiment de chute vertigineuse. Pensez donc : 10.000 prêtres dans le Limousin, 400 prêtres à Tulle, 40 à Tarnac !!! Mais c’était avant le Concile de Trente et sa réforme, notamment en ce qui concerne la formation du clergé. C’est ce que Claude Dagens appelle les déterminations extérieures. «Je souffre profondément quand je vois l’Eglise renoncer, plus ou moins consciemment, à se déterminer de l’intérieur de la foi au Christ, pour des raisons vraiment chrétiennes, et se laisser influencer par des déterminations extérieures, qui ont certainement leur valeur, mais qui ne devraient pas s’imposer au Corps du Christ de façon absolue ».

– Oui, déclin ou sortie d’un monde, d’un imaginaire de chrétienté ? Déclin ou renouvellement en profondeur qui s’opère dans l’expérience chrétienne elle-même et dans le façonnement de l’Eglise, pour reprendre les termes de Claude Dagens ? C’est vrai, la question de l’avenir des communautés chrétiennes nous habite profondément, nous évêques, avec nos collaborateurs prêtres et diacres et les chrétiens de nos diocèses. Elle est à la fois cause de préoccupations, écharde dans la chair de l’Eglise et aiguillon pour stimuler notre intelligence pastorale et notre courage. Elle a fait l’objet de travaux et de nombreux échanges au cours de nos dernières assemblées de Lourdes, sous le titre : « Demain, la vie de nos communautés ». Mais nous-mêmes, cette épreuve que nous traversons, à savoir celle du vieillissement et du petit nombre des prêtres, comment l’interprétons-nous : en termes de culpabilité, « comme si nous avions enfanté du vent » (Isaïe) ? En termes de crise régénératrice ? Mais alors à quoi nous faut-il mourir, vers quoi nous tourner ? Ou vers Qui nous tourner ?

3. Il y a donc une autre lecture à faire, une lecture pascale. Autrement dit il y a à penser théologiquement notre situation. Et ça c’est notre responsabilité et c’est de là que nous pouvons renouveler nos pratiques pastorales. C’est à quoi nous ont aidé Sr Marie Thérèse Desouche de la Faculté de Théologie de Toulouse et le Père Jean François Chiron de la Faculté de Théologie de Lyon qui ont accompagné une partie de nos travaux de Lourdes. Ils se sont attachés à montrer l’identité pascale de l’Eglise : La trajectoire de Jésus est celle d’un pauvre, depuis le baptême du Jourdain jusqu’au baptême de la Croix. Il prend une place de pauvre parmi les anawim, les pauvres de son peuple. La Croix est le centre du centre de cette aventure humaine de solidarité. Homme des douleurs, Juste assassiné, Jésus consomme le chemin de dépouillement commencé à la Crèche. Dieu devient, en la personne de Jésus son Fils, le prochain des pauvres. (…) Jésus révèle, dans le vécu de sa mort, dans le long chemin de sa passion, la profondeur des dérives et des péchés humains (…). L’obéissance de Jésus le Fils dans le hiatus de la mort constitue le lien qui franchit le pont. Le Ressuscité est le Crucifié. Le Christ Crucifié est exalté sur la Croix elle-même, source vive de liberté, de joie, de communion, entre les hommes. La résurrection se dit comme la grâce plus réelle que le péché, la vérité plus réelle que le mensonge, l’amour plus fort que la haine. L’Esprit du Christ Ressuscité se révèle comme l’obstination de l’espérance, la croissance spirituelle du monde, la force de régénération des souffrants ». Tel est le chemin pascal de Jésus.


4. On ne saurait donc s’étonner que l’Eglise soit appelée à vivre, à la suite de son Maître, le mystère pascal : « le disciple n’est pas plus grand que le maître » (Lc 6,40). Comme Corps du Christ, l’Eglise doit, unie à sa Tête, connaître une certaine forme de mort, pour accueillir la vie du Ressuscité ; comme peuple, elle doit « passer » par l’épreuve pour entrer dans la Vie.

– Le mystère du Crucifié Ressuscité, proposition de vie et de salut pour notre monde, est la raison d’être de l’Eglise. Il constitue son identité, identité pascale elle aussi. Dans l’histoire et pour les hommes, l’Eglise est le sacrement du Christ dans son chemin pascal. Comme ‘réalité sacramentelle’, l’Eglise prend racine dans le mystère du Christ, le Fils qui révèle la paternité de Dieu et le Don de l’Esprit.

Sacrement, l’Eglise se doit de donner à voir aux yeux des hommes un témoignage de vie transformée, comme elle se doit de faire entendre la Parole de son Seigneur. Mais de même que Dieu « se livre à nous dans le Christ et l’Esprit, de même son Eglise n’existe et ne doit exister dans le monde et pour lui que sous le mode d’une décentration radicale de soi.(…) A cette condition, elle peut espérer ouvrir les hommes au mystère de Dieu qui aime et se décentre de Lui-même le premier ; à cette condition aussi, elle est elle-même « dans le Christ, en quelque sorte un sacrement » puisqu’elle n’a d’autre sens que de signifier et de servir le mystère de Dieu (…) Ce rapport de pur service, ce décentrement de soi-même sur l’autre, c’est le statut d’un sacrement ». (Gustave Martelet, Deux mille ans d’Eglise en question. Théologie du sacerdoce, tome 1, page 51).

– Décentrement et donc ressourcement évangélique. L’assemblée des évêques n’a pas apporté de réponses immédiates et rassurantes à la question de l’avenir de nos communautés.. Nos inquiétudes font écho à celles de notre société. Nos questions viennent aussi du monde incertain et complexe dans lequel nous sommes immergés. Par contre, ce qui nous est apparu avec toujours plus d’évidence, à l’heure même où des scandales éclaboussaient l’Eglise, c’est l’urgence d’un ressourcement évangélique, ce radicalisme évangélique que visait la Lettre aux catholiques de France de 1996. Témoin de ce ressourcement, le Synode des évêques d’octobre 2008 sur La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Eglise. Témoin encore la proposition de la Lectio divina, largement répandue dans nos diocèses. A condition bien sûr que cette lecture priante innerve nos pratiques en Eglise et nos manières d’être au monde.
 

2ème partie : Quel renouvellement en profondeur ?

1. Sur le pôle de la foi.

Je crois vraiment à l’importance d’un rapport personnel à la Parole de Dieu. Redonner le goût de se réunir à quelques uns autour de la Parole de Dieu, redonner le goût d’échanger sur nos vies. …
Ecouter la Parole qui vient de Dieu. Le document préparatoire (lineamenta) au synode des évêques de 2008 sur La Parole de Dieu, dans la vie et la mission de l’Eglise le dit clairement : « Aucun doute ne subsiste : la Parole de Dieu doit occuper la première place. Ce n’est qu’à travers elle qu’on peut comprendre l’Eglise » (n° 12). « Ainsi la communauté chrétienne se construit chaque jour en se laissant guider par la parole de Dieu, sous l’action de l’Esprit Saint, qui apporte lumière, conversion et consolation » (n° 30). Cela nous encourage à poursuivre ce que nous proposons chaque année, la lecture d’un livre du Nouveau Testament. Ecouter, en lisant, en méditant, en priant. Ecouter, c’est l’attitude personnelle du croyant qui se doit d’ouvrir son cœur pour se laisser toucher, comme nous y invite le psaume 94 : « Aujourd’hui, ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la voix du Seigneur ». Ecouter, c’est aussi l’attitude fondamentale du peuple qui donne sa foi à Dieu : « Ecoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes ta force ». (Dt 6, 4-5). Ecouter, c’est ce que nous sommes invités à faire à plusieurs : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » (Mt 18, 20).

2. Sur le pôle de la charité.

C’est l’enjeu de l’opération Diaconia 2013. Dans le diocèse de Tulle, un diacre permanent porte la responsabilité de la Diaconie. Nous sommes passés heureusement d’un conseil de la solidarité à un conseil de la Diaconie. Cette année notre démarche de Carême a intégré la belle proposition du libre blanc des fragilités et des merveilles. Une des idées forces de Diaconia 2013, c’est d’articuler diaconie, annonce de la parole et célébration du mystère du Christ.

3. Sur le pôle de la gouvernance.

Dans la situation difficile où se trouve le clergé de mon diocèse (vieillissement et petit nombre), la diversification des acteurs ecclésiaux s’impose comme une nécessité. Christoph Théobald, dans une contribution à un colloque à l’Institut Catholique de Toulouse pose la question : « Dieu, que donne-t-il aujourd’hui, ici et maintenant, à son Eglise en laissant surgir ces nouvelles « collaboratrices » et ces nouveaux « collaborateurs » ? Il fait le constat d’un surgissement inattendu d’acteurs nouveaux, une prolifération : « Le principe de prolifération et de fécondité permet de lire plus correctement la mutation de la figure d’Eglise qui est en train de se produire sous nos yeux qu’une simple lecture de crise ». Je souligne ici deux points :

Renouveau pour nous, ministres ordonnés. Evêque, prêtres et diacres, notre ministère ordonné inscrit dans le corps de l’Eglise la mémoire du Christ tête de l’Eglise. Une Eglise qui se reçoit du Christ pour devenir dans le temps présent ce qu’elle est par grâce, le corps du Christ. La place et la signification de ces ministères sont donc vitales. Mais nous sentons la nécessité de renouveler nos manières de vivre ce que la constitution de Vatican II sur l’Eglise appelle le ministère de la communauté (n° 20, §3). Cette nouveauté se cherche en plusieurs directions : la communion fraternelle entre ministres, une vie plus évangélique dans l’exercice de l’autorité, une collaboration confiante et respectueuse avec tous ceux et toutes celles « qui se donnent de la peine dans le Seigneur », comme le dit l’apôtre Paul (Rm. 16, 12). Nous évêques, nous demandons pourtant ce que nous pourrions dire pour recentrer le ministère des prêtres sur ses missions primordiales et prioritaires, ce que nous pourrions dire et décider pour en alléger la charge. Voilà peut-être un nouveau travail d’assemblée.

Responsabilités et missions des laïcs Pour nos diocèses, l’élargissement des responsabilités et des missions confiées à des laïcs relève à la fois de l’ordre de la nécessité, mais aussi du déploiement de la grâce du Baptême. Nous accueillons cette nouveauté comme l’oeuvre de l’Esprit, « qui distribue à chacun ses dons selon sa volonté » (1Co. 12, 11). Heureuse diversité de ces dons, variété merveilleuse, selon la constitution sur l’Eglise (n° 32 §1). Variété sans confusion ni séparation, pourrait-on dire. Une note de la Commission épiscopale pour les ministres ordonnés et les laïcs en mission ecclésiale, en date du 26 mars 2010, invite à des clarifications quant à la notion de Laïcs en Mission Ecclésiale et à des précisions quant au statut ecclésial de ces laïcs. Ce serait encore un travail pour l’assemblée. En ce qui me concerne, je me réjouis de la mise en place dans le diocèse de Tulle d’un cycle de formation pour animateurs de communautés.

4. La mission, au coeur du message pascal.

« Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint ». Cette parole de Jésus ressuscité au soir de Pâques (Jn. 20, 21-22) inscrit la mission au coeur même du message pascal. Notre questionnement sur l’avenir de nos communautés chrétiennes qui nous a recentrés sur le coeur de la foi, le mystère pascal, nous entraîne aussi sur ce terrain, celui de la mission, du service et du témoignage à rendre. « Le « pour » qui caractérise la mission du Christ (« pour nous les hommes et pour notre salut ») est celui de l’Eglise… Les hommes de ce temps sont la route de l’Eglise » (J.Fr. Chiron – M.Th. Desouche). Dans leur intervention de mars 2009, ces deux théologiens ont souligné les deux modalités de la mission : la mission comme communication ou l’Eglise se faisant dialogue et la mission comme service ou l’Eglise se faisant charité.

C’est ainsi que le travail en assemblée plénière s’est poursuivi par la collecte et le partage d’initiatives pour un renouveau dans nos diocèses. Dans chacune des 15 provinces, nous avons collecté des initiatives qui nous paraissent riches de nouveauté et de dynamisme. Le filet s’est rempli d’une soixantaine d’entre elles, quatre par provinces. A leur lecture, on peut discerner cinq types d’initiatives : initiatives missionnaires, initiatives autour des laïcs en mission ecclésiale, initiatives de proximité, initiatives pour de nouvelles manières de vivre le ministère des prêtres, démarches synodales pour la vie des diocèses :

En guise de conclusion, disons que la vitalité, bien réelle, que manifestent les initiatives retenues par les Provinces ne peut pas nous dispenser de réfléchir à l’avenir du ministère presbytéral : bien au contraire, nous savons que cette vitalité, pour être authentiquement reliée au Christ, Tête et Pasteur de son Eglise, suppose et appelle une présence renouvelée des Ministères ordonnés. Comment réhabiliter le ministère de prêtre diocésain ? Comment mieux faire reconnaître le rôle des diacres permanents ?

Bernard CHARRIER
Evêque de Tulle