Les familles, l’Eglise et la société : La nouvelle donne.

Président du Conseil Famille et Société de la Conférence des évêques de France, Mgr Jean-Luc Brunin, évêque du Havre, présente « Les familles, l’Eglise et la société : La nouvelle donne » (Bayard Ed.).

couv_livre_brunin_famillesLa famille est une Bonne Nouvelle qu’il appartient aux chrétiens d’annoncer davantage par leur témoignage de vie que par la parole. Dans une société qui, majoritairement, ne puise plus dans la tradition chrétienne ses repères pour déterminer son agir et ses comportements, les chrétiens sont requis à proposer ce que leur tradition croyante dit du mariage et de la famille. Au fil de ces deniers mois, j’ai acquis la conviction que nous étions dans un temps favorable au service que l’Eglise est appelée à rendre pour la famille.

Des temps favorables pour l’Eglise et les chrétiens

Chrétiens, nous vivons un temps favorable pour le service des familles. Cela peut paraître paradoxal de formuler une telle affirmation en cette période de turbulence sociale autour du mariage et de la famille. Pourtant, comment ne pas discerner un appel de l’Esprit Saint dans ces débats et controverses ? Je fais l’expérience, dans l’exercice de ma responsabilité épiscopale, que l’Eglise se trouve invitée à revisiter ce qu’elle dit du mariage à l’aune de la tradition évangélique, à évaluer ce qu’elle propose dans la préparation à cet engagement auprès de jeunes fiancés qui baignent dans une culture nouvelle, à devenir ingénieuse et inventive pour initier des propositions pertinentes dans une pastorale des familles. Je constate aussi que le souci des familles s’est élargi à des chrétiens qui, jusqu’ici, n’étaient pas engagés dans cette pastorale. Alors que le mariage et la famille restaient largement impensés, beaucoup ont découvert à quel point des mesures législatives pouvaient fragiliser et même les menacer. Ce fut à l’origine d’une mobilisation plus large que la seule communauté catholique. Oui, le temps est favorable car l’Eglise mesure de façon plus nette sa responsabilité pour servir l’avenir de la famille qui représente un enjeu à la fois social et ecclésial.

La famille comme donné de la Révélation chrétienne

La famille est au cœur de l’œuvre de salut de Dieu en faveur de l’humanité. Dieu a voulu s’insérer dans l’humanité pour la sauver et lui offrir son Alliance. Après avoir manifesté sa présence et son action par des signes offerts dans les situations et les événements qui constituaient la trame de l’histoire du peuple élu, il a envoyé son Fils qui s’est incarné dans notre humanité.

Il aurait pu surgir à la manière d’un météorite ou d’un extra-terrestre. Mais il a voulu entrer dans notre humanité en naissant comme un enfant au sein d’une famille humaine. Il est éclairant de voir comment Dieu a pris soin de constituer une famille qui accueillerait le Verbe éternel lors de son incarnation. Nous en repérons les étapes dans l’Ecriture et la tradition chrétienne :

– Marie, de toute éternité, a été choisie et préparée pour être la Mère du Fils de Dieu (l’Immaculée Conception)
– L’annonciation et la conception virginale de Jésus (Luc 1, 26-38)
– Le songe de Joseph au cours duquel Dieu l’encourage à ne pas avoir peur et de prendre Marie comme épouse (Matthieu, 1, 18-21)
– L’expérience de la croissance humaine de Jésus au sein de sa famille à Nazareth. Ce fut le lieu de ses apprentissages humains et de sa socialisation dont l’Ecriture nous dit peu de choses (ce qui ne fournit pas de modèle humain de famille qu’il faudrait reproduire de façon mimétique), mais elle nous en révèle pourtant l’essentiel. Sa famille lui a permis de se construire humainement afin de devenir Celui qui venait accomplir la mission que le Père lui avait confiée. La Sainte Famille fut le lieu d’émergence du Fils incarné de Dieu comme homme libre pour être aux affaires de son Père (Luc 2, 41-50)
Pour sauver l’humanité, Dieu le Père a dû préparer une famille humaine pour le Fils unique qu’il nous envoyait ! Le Christ a tout vécu de notre condition humaine, y compris l’expérience d’être enfant accueilli au sein d’une famille dans laquelle il s’est éveillé humainement, intellectuellement, moralement et spirituellement.

La Sainte Famille n’est pas tant un modèle figé qu’un paradigme offrant à tous les hommes des repères sûrs pour constituer et faire vivre une famille qui permette à chacun de ses membres d’advenir librement à la vérité de son existence et répondre à sa vocation singulière, à la fois humaine et divine.

Le mariage et la famille, des réalités au point de jonction de la culture et de la foi

La démarche initiée par Mgr Jean Charles Descubes [archevêque de Rouen, son prédécesseur à la présidence du Conseil Famille et Société, NDLR] et le SNFS [Service national Famille et Société, NDLR], appelée « Familles 2011 » a permis à l’Eglise en France de prendre la mesure de la complexité des questions de la famille. Soumises aux variations culturelles, les familles se révèlent être des constructions complexes qui requièrent beaucoup d’investissement de la part de ceux et celles qui s’engagent dans cette aventure.

Cette réalité interroge l’Eglise sur sa façon d’accompagner les familles, de les éclairer et les soutenir dans cette aventure humaine fondamentale, car c’est là où se joue largement le destin des êtres humains. L’Eglise ne peut se contenter d’un discours exhortatif et prescriptif, comme en surplomb, mais elle doit chercher de plus en plus une démarche d’accompagnement humain au cœur duquel elle fera valoir la vérité que le Christ lui révèle. L’Eglise ne peut se satisfaire de soutenir les seules familles qui répondent déjà aux exigences qui nous viennent de la tradition chrétienne. Il ne s’agit pas, bien sûr, de les abandonner. Il faut pouvoir nourrir leur foi et éclairer leur responsabilité éducative à la lumière de l’Evangile. Mais l’Eglise doit aussi pouvoir s’adresser et faire route avec des personnes qui peinent dans un « faire famille ». A la faveur de la démarche « Familles 2011 », nous avons découvert que la pastorale des familles relevait de la Diaconie de l’Eglise, un véritable service d’humanité autant qu’une œuvre d’évangélisation.

Cette conviction est au fondement du livre présenté aujourd’hui. Elle sous-tend les entretiens que j’ai eus avec Christophe Henning. Il veut être un espace de rencontre entre ce que porte la culture contemporaine (sans jamais la diaboliser, mais en la soumettant à un discernement critique éclairé par l’Evangile), et la tradition de la foi chrétienne qui éclaire, invite et soutient l’expérience humaine du mariage et de la famille. Ces questions deviennent l’objet d’une rencontre entre les cultures contemporaines et la foi chrétienne. Dans son fond autant que dans sa forme, cet ouvrage a cherché à s’inscrire dans la démarche de la nouvelle évangélisation dans l’esprit de l’encyclique Ecclesiam suam qui demeure la ligne du Conseil Famille et Société : « l’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole ; l’Église se fait message ; l’Église se fait conversation » (n°67).

Quelques points forts du livre

Le rôle de la famille dans la société

Depuis quelques décennies, l’Eglise traite la famille comme une question sociale. Elle reconnaît et valorise la famille dans sa vocation sociale car celle-ci garantit les fondamentaux du comportement humain, citoyen et croyant. C’est dans la cellule familiale qu’ils peuvent être posés et acquis (apprentissage du sens de la gratuité, expérience d’ouverture aux autres, gestion positive de tensions et de conflits relationnels, acquisition de la confiance en soi et aux autres …). L’enfant n’a rien fait pour mériter l’amour de ses parents. Au sein de la cellule familiale, il peut assumer avec sérieux ses relations, non comme un faire-valoir personnel, mais dans le souci des autres. Ce sens des autres est essentiel à une vie citoyenne, sans parler d’une vie chrétienne. Si l’enfant ne peut faire ces expériences au sein de sa famille, tout n’est pour autant pas perdu. Mais on se priverait d’un lieu essentiel d’émergence de l’individu humain et d’une éducation le rendant apte à gérer positivement ses relations, si on démantelait cette réalité humaine qu’est la famille, et le mariage qui en est le fondement.

L’accueil inconditionnel des familles

A l’égard des familles, le comportement de l’Eglise s’inscrit dans une tradition d’accompagnement et de dialogue. L’avenir des familles est un service que l’Eglise entend assurer au nom de sa foi au Christ. Cela détermine les conditions de l’accueil. L’Eglise est appelée, à l’exemple du Christ, à oser la rencontre avec toutes les familles qui s’adressent à elle ou qu’elle rejoint, indépendamment de leur conformité à la vocation à laquelle l’Evangile les appelle.

Consciente des situations complexes et diverses des familles, l’Eglise catholique prend des initiatives pour rejoindre ces diversités et ces complexités afin d’offrir, à partir de la richesse de la Révélation, les ressources nécessaires pour que les familles puissent répondre à leur vocation à la fois sociale et ecclésiale. Le dialogue et la proposition de la vérité doivent se vivre au sein d’une pastorale des familles, dans l’esprit du Concile Vatican II que le pape François rappelle dans l’encyclique La lumière de la foi :

« La lumière de l’amour, propre à la foi, peut illuminer les questions de notre temps sur la vérité. La vérité aujourd’hui est souvent réduite à une authenticité subjective de chacun, valable seulement pour la vie individuelle. Une vérité commune nous fait peur, parce que nous l’identifions avec l’imposition intransigeante des totalitarismes. Mais si la vérité est la vérité de l’amour, si c’est la vérité qui s’entrouvre dans la rencontre personnelle avec l’Autre et avec les autres, elle reste alors libérée de la fermeture dans l’individu et peut faire partie du bien commun. Etant la vérité d’un amour, ce n’est pas une vérité qui s’impose avec violence, ce n’est pas une vérité qui écrase l’individu. Naissant de l’amour, elle peut arriver au cœur, au centre de chaque personne. Il résulte alors clairement que la foi n’est pas intransigeante, mais elle grandit dans une cohabitation qui respecte l’autre. Le croyant n’est pas arrogant ; au contraire, la vérité le rend humble, sachant que ce n’est pas lui qui la possède, mais elle qui l’embrasse et le possède. Loin de le raidir, la sécurité de la foi le met en route, et rend possible le témoignage et le dialogue avec tous » (n°34).

Au fil au fil des pages de ce livre, j’ai essayé de formuler quelques aspects de la vérité que la tradition chrétienne nous offre sur le mariage et la famille. Les réflexions proposées le sont à partir des apports de la démarche « Familles 2011 » et de mon expérience pastorale comme évêque dans le Nord, en Corse et aujourd’hui, au Havre.

J’ose espérer que ce livre pourra être utile et éclairer ceux et celles qui veulent poursuivre le dialogue au sein d’une société démocratique, sans renier ce qu’ils sont comme croyants en Jésus-Christ, sans dépit ni rancœur, sans crispation ni agressivité. Ils sont mis au défi de tenir debout en chrétiens dans une existence qu’il leur faut conduire au sein d’une société plurielle, très souvent à distance ou ignorante de la tradition à laquelle ils se réfèrent pour mener leur vie. Cet ouvrage voudrait les aider à participer à une pastorale des familles soucieuse de large proximité et de dialogue. Nous sommes appelés à le vivre dans la gratuité car l’Eglise est toujours invitée à tenir compte des lenteurs et des difficultés de l’adhésion à l’annonce de l’Evangile. Cela ne nous dispense jamais de poursuivre le dialogue en attendant « l’heure où Dieu le rendra efficace », selon l’expression de Paul VI dans Ecclesiam suam n° 79.

Les questions du mariage et de la famille sont un des lieux essentiels où les chrétiens sont appelés à rendre compte de l’espérance qui les habite. La société et les débats récents qui l’ont agitée sur ces sujets, en offrent l’opportunité. Nous ne pouvons nous soustraire à cette responsabilité croyante. J’ose espérer que ce livre aidera les chrétiens à l’assumer.

MgrJean-Luc Brunin
Evêque du Havre
Président du Conseil Famille et Société

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