« A l’approche des élections », par Mgr Turini

Turini Norbert - Cahors

Les élections approchent et c’est un devoir, pour tous les citoyens que nous sommes, que d’aller voter. L’Eglise n’a pas de consignes de vote à donner, encore moins de favoris à présenter.
Mais sa mission, au nom de l’Evangile, est d’éclairer les consciences tout en respectant la liberté de vote de chacun.

Dans un document paru en octobre 2011 : «Elections : un vote pour quelle société ?» , le Conseil Permanent de la Conférence des Evêques de France rappelle « la haute importance que l’Eglise depuis ses origines reconnaît à la fonction politique » dont la finalité est de veiller au bien commun.

En votant, chacune et chacun d’entre nous, non seulement accomplit son devoir d’Etat, mais exprime en quelque sorte, par le choix qu’il fait, quel type de société il veut pour lui, pour ses enfants et pour son pays. Il exprime ainsi ce « qui pourra le rendre plus agréable à vivre et plus humain pour tous » comme le souligne les évêques.

Ces élections se tiendront dans un climat de crise mondiale, dont les effets n’ont pas fini de se faire sentir. Ces temps de crise appellent à relever de nombreux défis pour celles et ceux qui gouverneront notre pays et ce, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, quelle que soit leur couleur politique.

On ne peut plus se contenter de promesses, mais d’un véritable changement pour ne pas dire d’un renouveau radical dans notre société. Plus que jamais, nous avons besoin d’espérance et d’un pouvoir politique qui l’incarne en donnant une direction claire, en proposant des choix cohérents et justes en matière sociale, économique, morale, écologique,etc..

Dans un très beau document « Grandir dans la crise », les évêques du Conseil Famille et Société écrivent très justement : « La crise couvait depuis longtemps. Elle s’est manifestée d’abord dans le domaine écologique. Puis les crises alimentaire, financière, économique, monétaire et sociale se sont succédées rapidement, révélant une crise bien plus profonde, une crise spirituelle, une crise du sens. Cette crise du sens profond de l’existence a été masquée par une confiance excessive dans l’économie libérale. Il est clair aujourd’hui que l’économie seule ne peut fournir les réponses adéquates à tous les problèmes de société » p.29

L’approche d’une élection est aussi une bonne occasion pour faire un examen de conscience et découvrir sur quels points précis nous devons changer nos mentalités.
Le pouvoir politique comme tout pouvoir a ses limites et celui qui sortira des urnes n’échappera pas à la règle.
Il ne faut pas en attendre plus que ce qu’il ne peut donner. Il ne faut surtout ni l’idéaliser, ni le
« diviniser » !
La crise que nous traversons nous a fait comprendre, que quelques uns, fussent-ils à la tête de l’Etat, ne suffisent pas à résoudre tous les problèmes sociaux et politiques et à réaliser tous nos rêves de bien-être, de grandeur et de sécurité matérielle.

Cette crise grave rappelle à chaque citoyen qu’il est co-responsable avec ceux qui les gouvernent, de l’avenir de notre pays.

Déjà, il nous faut sortir, comme les évêques le rappellent, de cet individualisme « où chacun juge toute chose en fonction de ses propres intérêts » et qui « finit par dissoudre la vie sociale ».

En ce sens, la démarche Diaconia 2013, prend le contre-pied d’une telle attitude en invitant à plus de solidarité et de partage, à un service plus accru de la fraternité en portant le souci de l’autre, faisant en sorte que les plus forts viennent au secours des plus faibles et ne les écrasent pas.

Les évêques le soulignent également « Le mode de vie qui est le nôtre ne pourra plus se maintenir tel quel chez nous ».
Cela a déjà des effets très concrets dans notre manière de vivre, d’acheter, de consommer. C’est donc à un nouvel art de vivre que nous appelle cette crise, donnant à la personne humaine le primat sur le productif et l’économique.

Plus que jamais il est important que celles et ceux qui briguent les suffrages des électeurs comprennent qu’ils ne sont pas élus pour leur propre gloire, mais pour le service de celles et ceux qui les ont choisis au suffrage universel.

C’est parce que l’Evangile du Christ a une dimension sociale que l’Eglise ne reste pas muette au moment où des enjeux décisifs engagent le présent et l’avenir de notre société.

D’ailleurs dans son magistère, l’Eglise compte bon nombre d’encycliques sociales où des papes se sont prononcés sur des questions de société. Cela fait partie de sa mission.

Comme je l’ai dit au tout début, les évêques ne donnent pas de consignes de vote, mais mettent en valeur « quelques points important à prendre en compte en vue de ces élections.
Il est important d’examiner comment les programmes et les projets des partis et des candidats traitent ces différents points
».

Je les énumère en les détaillant brièvement :

• LA VIE NAISSANTE : Elle appelle la société à consacrer de grands efforts pour l’accueil de la vie en refusant l’instrumentalisation de l’embryon, en proposant d’autres solutions que l’avortement pour les mères en difficulté. Parce que chaque personne est unique aux yeux de Dieu. Ce qui dicte l’engagement des chrétiens en matière de protection de la vie, ce n’est pas d’abord une morale, mais l’amour de la vie que ni la maladie ni l’âge ne peuvent amoindrir.

• LA FAMILLE : Elle doit être aidée économiquement et défendue socialement car à travers ses enfants, c’est l’avenir et la stabilité de la société qui sont en jeu. La différence sexuelle de l’homme et de la femme est fondatrice et structurante de tout le devenir humain. En créant l’être humain, « homme et femme », Dieu a suscité une relation de complémentarité à la fois biologique et sociale qui se retrouve dans toute la société.

• L’EDUCATION : Une des expressions majeures du respect de la personne. Elle suppose que s’exercent pleinement la liberté et la responsabilité des parents, la transmission à tous des savoirs essentiels, le souci des élèves en rupture ou en échec scolaire, le respect de la liberté de conscience, des enseignements soucieux de la dignité et de la beauté de la vie humaine.

• LA JEUNESSE : Elle demande un investissement nécessaire. L’intégration des jeunes générations est difficile aujourd’hui mais demeure un objectif incontournable. L’aide aux familles, les conditions de la vie étudiante, l’entrée dans la vie professionnelle, la possibilité de fonder une famille indépendante, etc. réclament le soutien financier et institutionnel de la collectivité.

• BANLIEUES ET CITES : Une politique répressive ne peut suffire pour lutter contre les violences et les trafics qui y règnent.

Pour éviter le phénomène de « ghettoïsation », de nouveaux aménagements, le renouvellement de l’habitat, la question des transports sont prioritaires. Un certain nombre d’associations de quartier jouent un rôle important pour le maintien du lien social. Elles doivent être soutenues et encouragées politiquement et financièrement.

• ENVIRONNEMENT : Pour les chrétiens la terre est un don du Créateur. Promouvoir des modes de vie respectueux de l’environnement, ne pas épuiser la terre ou la détruire, sont aujourd’hui des obligations prioritaires pour celles et ceux qui nous gouvernent et nous gouverneront et réclament l’intégration de ces préoccupations
dans le développement économique et social dans le respect d’une « écologie humaine » (Benoît XVI).

• ECONOMIE ET JUSTICE : Le travail demeure une nécessité fondamentale pour la structuration de la personne et de la société. Toute politique économique se doit d’offrir à tous ceux qui se présentent et aux jeunes en particulier, une perspective de travail et une véritable préparation à l’emploi. Se résoudre à une dépendance vis-à-vis de l’Etat serait contraire à cet impératif. Une plus grande justice dans la vie économique, fondée sur l’équité des salaires, des prix, des échanges, la correction des écarts disproportionnés de richesse, est un souci prioritaire pour les autorités publiques. N’oublions pas que la vie en société ne se limite pas aux échanges économiques, mais la gratuité, à l’œuvre dans la vie associative et culturelle, contribue au renforcement du tissu social et mérite un soutien fort de l’Etat et de chaque citoyen.

• COOPERATION INTERNATIONALE ET IMMIGRATION : Même si une régulation des migrations est nécessaire, elle doit permettre d’accueillir au mieux ceux qui présentent, avec respect et sérieux, en leur offrant une vraie possibilité d’intégration. L’Eglise reconnaît à tout homme le droit d’émigrer pour améliorer sa situation. La coopération internationale passe par des institutions internationales qui appellent à un partage des richesses, au développement d’actions de solidarité, au maintien de la paix pour le respect des biens et la dignité des personnes.

• HANDICAP : Aujourd’hui un regard positif est porté sur les personnes handicapées. Il rejoint l’attitude de Jésus qui accueillait, réconfortait, guérissait les personnes malades ou atteintes de handicap. Mais le dépistage prénatal systématique qui risque de déboucher sur l’élimination des personnes porteuses de certains handicaps, remet en cause en son fondement même, la solidarité envers les plus faibles qui doit animer la société.

• FIN DE VIE : Sous prétexte de compassion, l’euthanasie est un abandon de la personne en fin de vie au moment où elle a le plus besoin d’aide et d’accompagnement. Toute personne, quels que soient son âge, son handicap ou sa maladie, n’en garde pas moins sa dignité. Pour cette raison affirme Benoît XVI :
« l’euthanasie est une fausse solution au drame de la souffrance, une solution indigne de l’homme ». Le développement et le financement des soins palliatifs doit être poursuivi pour que tous ceux qui en ont besoin puissent en bénéficier.

• PATRIMOINE ET CULTURE : Nous sommes les héritiers de l’effort culturel de ceux qui nous ont précédés. La culture permet à chaque personne d’inscrire sa destinée dans la communauté humaine avec celle des autres. Elle n’est pas d’abord un produit ou une production. Il est important que les pouvoirs publics réunissent toutes les

conditions pour que les jeunes générations profitent de ce que nous lègue le passé pour se projeter dans l’avenir.

• L’EUROPE : Dans le monde globalisé où nous vivons, bien des réalités ne peuvent être traitées qu’à l’échelle européenne. La construction européenne appelle des états capables de proposer et de défendre un projet clair, en vue de créer un espace de liberté et de créativité. Les chrétiens désirent que l’Europe permette à ses habitants d’agir de façon responsable , avec les ressources spirituelles, morales, économiques et politiques qui sont les leurs, pour le bien, de l’ensemble du monde.

• LAICITE ET VIE EN SOCIETE : La relation dans notre pays entre l’Eglise et l’Etat est aujourd’hui largement apaisée. La laïcité est un principe constitutionnel de la République française et l’Eglise accepte ce cadre dans lequel se situe sa mission. Mais séparation ne signifie pas ignorance réciproque. Les occasions de rencontre et de dialogue ne manquent pas. Si l’Etat ne reconnaît et ne subventionne aucun culte (art.2 de la Loi de 1905), il se doit d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes. Face aux débats suscités par certaines religions, demeure toujours le risque d’aboutir à la laïcité la plus fermée. Les catholiques n’entendent pas être des citoyens interdits de parole dans la société démocratique. En exprimant ce qu’ils pensent, ils ne vont pas à l’encontre de l’intelligence et de la liberté de jugement de ceux qui ne partagent pas leur foi. Ils souhaitent simplement une application apaisée et ouverte des lois et des règlements qui définissent le pacte laïc de notre commune République.

Un certain nombre de chrétiens et de non-chrétiens attendent une parole de l’Eglise au moment des grandes échéances de la vie politique de notre pays. Puisse cette modeste contribution aider chacune et chacun dans sa réflexion et son discernement. « Prions pour que le désir du bien de tous domine dans nos choix et dans ceux de nos concitoyens ».

+Norbert TURINI
Evêque de Cahors

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