« Espérer par delà la crise » par Mgr Le Saux

A Pâques, les Chrétiens célèbrent dans la joie la résurrection du Christ, promesse d’une victoire définitive de la vie sur la mort pour tous les hommes.

Appelés à être témoins de cette Espérance, nous savons que la victoire de la vie sur la mort s’accomplit d’abord sur cette terre, au milieu de tous les hommes de bonne volonté qui œuvrent pour faire triompher la justice et l’équité sociale et donner des perspectives d’avenir aux hommes et aux femmes de notre société.
Début 2011, les évêques de France ont publié un texte important : « Grandir dans la crise », ce texte est un appel fondamental à nous recentrer sur le sens du vivre ensemble, en humanité ; et en octobre 2011 « Élections : un vote pour quelle société ? », texte qui rappelle la haute importance de la fonction politique et qui présente treize éléments de discernement.

A quelques semaines des élections présidentielles et législatives, il me semble important d’affirmer un certain nombre de convictions, à commencer par la nécessité pour chacun de prendre part au vote de la manière la plus sérieuse possible, en essayant de prendre en compte les défis qui se présentent.

C’est par un extrait de la Lettre aux Hébreux (10, 24) que le pape Benoît XVI a commencé son message du carême 2012. « Faisons attention les uns aux autres pour nous stimuler dans la charité et les œuvres bonnes ».
Nul ne peut rester indifférent devant la précarité qui frappe toujours plus nos concitoyens, en particulier les nombreux jeunes qui ne parviennent pas à trouver une place en lien avec leurs aspirations, les personnes dont les conditions de travail ou l’absence d’emploi ne permettent pas de bénéficier d’une vie personnelle et familiale stable, celles qui vivent sous la menace d’un licenciement ou d’une faillite, ou encore les retraités qui redoutent de ne pouvoir faire face à la perte d’autonomie. « Le Concile a rappelé […] clairement que le revenu disponible n’est pas abandonné au libre caprice des hommes et que les spéculations égoïstes doivent être bannies. On ne saurait alors admettre que des citoyens pourvus de revenus abondants, provenant de ressources et de l’activité nationale, en transfèrent une part considérable à l’étranger pour leur seul avantage personnel, sans souci du tort évident qu’ils font subir à leur patrie. » (Populorum progressio § 24, mars 1967)
Nous ne pouvons que nous indigner devant l’accroissement sans précédent des inégalités dans notre pays, l’étalage indécent des bénéfices retirés par quelques-uns de la situation actuelle. Cela nourrit un désintérêt grandissant à l’égard du politique et suscite des réactions de repli sur la défense d’intérêts individuels au détriment de l’intérêt général.

Avec l’ensemble des évêques, je tiens à rappeler l’importance de la fonction politique qui doit porter le souci du bien commun, et travailler à la promotion de la dignité de toute personne humaine. C’est là le fondement de la pensée sociale de l’Église, mais aussi la première affirmation de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et la mesure par laquelle nous aurons à cœur d’analyser le projet des candidats.

Chaque personne est unique aux yeux de Dieu. La science est légitimement en quête d’efficacité, d’amélioration des techniques et de compréhension des causes des maladies et des handicaps pour les guérir. Les espoirs soulevés par des découvertes récentes semblent pousser la société à vouloir aller vers un contrôle systématique de la naissance, de la maladie et de la mort, vers la « perfection » de l’être humain. L’engagement chrétien est dicté par l’amour de la vie. « Nous invitons les autorités publiques à refuser l’instrumentalisation de l’embryon » (Élections 2012 : éléments de discernement).
Toute personne, quel que soit son âge, son état de fatigue, son handicap ou sa maladie, n’en garde pas moins sa dignité. Les situations de handicap et de vieillesse sont complexes, souvent douloureuses, et ne se résolvent pas par des solutions simplistes. Elles font appel à la solidarité. Reconnaître la dignité humaine des personnes plus vulnérables passe par les interdits de l’eugénisme et de l’euthanasie. Il est indigne pour l’homme qu’une société y consente. Chaque personne même vulnérable est un trésor d’humanité qui doit être accueillie, reconnue pour elle-même.
La dignité de la personne humaine passe par la capacité que chacune exerce sa part de responsabilité dans la société, par la confiance en ses capacités créatives, quelle qu’elle soit, au travail mais aussi dans sa vie sociale, familiale, associative.

La crise économique est mondiale. Nous attendons des représentants de notre pays qu’ils tiennent compte de l’ensemble de l’humanité et de ses interactions permanentes. « Nous constatons dans les pays d’Europe une augmentation significative des mouvements et tendances ayant des caractéristiques populistes. Ce phénomène est très complexe : il connaît des manifestations variées, allant de certaines formes de régionalisme jusqu’au nationalisme voire l’extrémisme ; il touche la gauche comme la droite de l’échiquier politique. On constate néanmoins des similitudes frappantes : une présentation simplifiée des problèmes et de leur solution, la recherche de boucs émissaires, l’instrumentalisation de la distinction entre « eux » et « nous ». (Les évêques de la COMECE 29 novembre 2010)

Les migrations, qu’elles soient intérieures ou internationales, forcées ou volontaires, légales ou irrégulières, sont une conséquence, entre autres, de la profonde influence exercée par la mondialisation. Elles appellent à une acceptation mutuelle accueillant/accueilli pour que la rencontre soit source d’enrichissement pour « tout-l’homme ». « L’Église reconnaît à tout homme le droit d’émigrer pour améliorer sa situation, même s’il est regrettable que tous ne puissent pas survivre dans leurs pays. Mais dans un monde aussi organisé que le nôtre, une régulation des migrations est nécessaire. Elle ne peut se réduire à une fermeture protectrice des frontières. Elle doit permettre d’accueillir au mieux ceux qui se présentent, avec respect et sérieux, et en leur offrant une vraie possibilité d’intégration. » (Élections : un vote pour quelle société ? octobre 2011) Les frontières géographiques ont toujours évolué et se sont élargies ; beaucoup de frontières humaines demeurent. Et pourtant, la paix et la tolérance se frayent un chemin dans de nombreux pays du monde.

Tout projet de société ne se réduit pas à un bulletin de vote ; ce dernier est inséparable de l’engagement individuel. Nous devons aussi et d’abord reconsidérer notre manière de vivre. Saurons-nous privilégier l’être plutôt que l’avoir, être créateurs de lien social dans nos relations, et porter sur lui un regard de confiance qui le fera grandir et nous fera grandir aussi ? Seuls, cela est impossible ; c’est pourquoi nous devons, selon nos forces et nos moyens, prendre nos responsabilités de citoyens, et participer à la construction de la société civile, à l’échelon local, national, voire européen ou mondial, si nous le pouvons. « il ne s’agit pas de s’engager dans un combat culturel ou idéologique, mais plutôt de réaffirmer les principes qui sont à la base de toute chose : la dignité inaliénable de chaque être humain, comme personne aimée et voulue par Dieu, et le bien commun, qui nous appelle à toujours faire preuve de solidarité et d’amour envers notre prochain. » (Les évêques de la COMECE 29 novembre 2010)
L’espérance est à ce prix. L’Église a une Bonne Nouvelle à annoncer :
« Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. » (Concile Vatican II, Gaudium et Spes §1)

Mgr Le Saux, évêque du Mans, en collaboration avec le Conseil de solidarité du diocèse

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