Fragiles et fraternels dans la vie religieuse

N.D D'EspéranceAnimés d’une foi authentique, mais pour beaucoup d’entre eux de santé précaire ou fragiles psychiquement, des hommes trouvent dans la Congrégation Notre-Dame d’Espérance une vie religieuse à leur mesure, entraide et compassion. Reportage à la maison-mère, le prieuré de Croixrault, dans la Somme. Par Chantal Joly

Ce vendredi matin, dans la modeste chapelle au plafond latté bois et aux verres colorés, le psaume 21 de l’office de Sexte a une résonance particulière : « Je suis comme l’eau qui se répand, tous mes membres se disloquent. Mon cœur est comme la cire, il fond au milieu de mes entrailles. ». En ce jour de la célébration de sainte Scholastique, le prieur, le Père Jean-Yves Mercier a évoqué au cours de la messe « cet appel plus haut qui est celui des consacrés, rechercher l’Amour qui ne passe pas, ne rien préférer au Christ au sein d’une union fraternelle toujours en chantier » sans que ce choix soit « celui d’un refus des liens familiaux ou d’un refuge dans une tour d’ivoire ». Pour la quinzaine de moines présents, dont parfois la lenteur de la diction et de la gestuelle peut révéler les handicaps à des non-familiers du lieu ; rien de plus juste. Car avant d’être des malades contraints à une prise régulière de médicaments –des infirmières préparent les piluliers tous les jours- et de fréquentes visites médicales, ils sont d’abord des hommes donnés à Dieu. D’un frère malade schizophrène, un de ses compagnons dit par exemple : « Il a une petite déficience mais c’est un bon moine ». C’est le critère numéro un.

Un idéalisme assumé

Le prieur général a une belle expression pour qualifier cette congrégation atypique qui allie avec un idéalisme assumé, une compassion supérieure aux « agacements » et un équilibre délicat_ les vocations de bien-portants sont trop peu nombreuses_  entre personnes en bonne santé et souffrants : « Nous vivons de la complémentarité de nos fragilités. On se dit souvent : « c’est lui aujourd’hui qui ne va pas bien, ce sera moi demain ». « Dans la phase d’élan et d’enthousiasme des débuts, le fondateur accueillait, ajoute-t-il, très largement, y compris des personnes socialement limites. Il disait souvent qu’il n’existait rien entre l’hôpital et nous. Cette maison a connu de belles pages mais parfois des passages difficiles. Des frères se sont orientés vers une demeure des Sources Vives* ou, par exemple, un myopathe qui avait besoin d’une assistance au quotidien n’a pu être accueilli ».

Sous la protection de deux saints

Quant à la règle de Saint Benoît, elle a été adaptée. Impensable en effet de suivre le rythme habituel des offices. « Nous avons, explique le prieur, des adaptations de sommeil car les besoins de repos sont importants ». Aussi la première prière n’est-elle qu’à 7H15. Le monastère, s’il conserve une boutique de produits monastiques, a dû renoncer aujourd’hui à ses ateliers d’artisanat monastique pour des questions d’organisation, même si d’autres prieurés ont pu conserver le leur. Et c’est une cuisinière qui assure les repas avec un frère. « Chacun, insiste le frère Jean-Yves, sait ce qu’il a à faire ». Ainsi cet après-midi, par goût de la solitude et surtout par amour du travail de la terre, frère Eloi, le jardinier, 84 ans, un ancien franciscain, se rend-il dehors, malgré la brume glacée qui enserre le bâtiment. Tandis que frère Eric Jean-Baptiste, le géant de la troupe, part récupérer la voiture chez le garagiste et chercher quelqu’un à la gare de Poix-de-Picardie.Comme l’avait souhaité le fondateur, la clôture est également moins stricte que dans d’autres monastères. « Nos frères ont besoin de davantage de contacts », explique le frère Jean-Yves. Il y a bien sûr le personnel médical qui vient (dont une psychologue clinicienne), mais aussi les familles, les résidents de l’hôtellerie et quelques habitués du village qui rendent des services (un ancien ambulancier entre autres) et sont des familiers de la messe du matin.Dans la chapelle, deux portraits en noir et blanc symbolisent la parenté spirituelle de la congrégation : le Père Charles de Foucault et sainte Thérèse de Lisieux. Le premier, explique Frère Jean-Yves, parce que celui-ci « voulait une vie simple, une vie de pauvre qui nous correspond et la deuxième parce qu’après avoir voulu se hisser à la sainteté à la force du poignet par des prouesses qu’on trouvait dans les livres ascétiques, Thérèse a compris qu’il fallait passer du faire à se laisser faire en se présentant à Dieu telle qu’elle était. Et aussi parce qu’elle a connu la maladie, une névrose, puis la tuberculose à la fin de sa vie ». Il est bientôt 17H. Avant l’office des Vêpres, frère Christian a profité de son temps libre pour écouter ses cassettes de musique religieuse et d’émissions de France Culture. Tout juste remis d’une bronchite, Frère Bernard, 78 ans, en se promenant dans le cloître, se déclare  heureux d’être dans ce prieuré car « depuis, ça tourne rond à l’intérieur »….

 

L’audace d’un fondateur

Décédé en 2008 à 97 ans, Henri-Marie Guilluy a eu la chance de voir croître l’œuvre de sa vie. Est-ce parce qu’il était fils et frère de médecin ? Toujours est-il que ce moine ordinaire de l’abbaye St Paul de Wisques, une fondation de Solesmes dans le Pas-de-Calais, s’étonne en tant que maître des novices, que des chercheurs de Dieu soient exclus de la vie contemplative au motif de leurs fragilités de santé. La contradiction lui paraît pour le moins peu évangélique. « Vous rêvez » lui rétorque son Abbé, en lui confiant néanmoins, juste avant son départ pour une mission en Martinique, auprès des Bénédictins du prieuré ND du Mont des Oliviers (Congrégation de Solesmes), que son intuition est bonne.

A son retour trois ans plus tard, toujours habité par son idée, Henri Guilluy obtient l’autorisation de ses supérieurs d’aller fonder une petite structure. Une propriété est mise à sa disposition par l’évêque d’Amiens. Le 1er octobre 1966, sa 2 CV franchit le portail du 4, rue Pétrie, à Croixrault, dans la Somme. Deux frères le rejoignent bientôt, l’un infirme à cause de la guerre d’Algérie et un novice au tempérament dépressif. Les conditions de vie sont spartiates mais Notre-Dame d’Espérance va se développer au point de devenir Congrégation. Dans une interview accordée en 1987, son fondateur justifiait le nom en référence à la parole de Saint Paul : « la force de Dieu se manifeste pleinement dans la faiblesse de l’homme. » (II Cor. XII 9) ».

 

De « l’âge d’or » à la stabilisation espérée d’un charisme

Ouvert en 1966, Croixrault a rapidement grandi. Des cellules, un réfectoire, une chapelle, sont sortis de terre. Des ateliers d’artisanat se sont organisés (émaux, étains, collage d’icônes…). Les vocations ont afflué et d’autres maisons ont ouvert en France, en Belgique, en Espagne, et même au Cameroun. La congrégation a été reconnue officiellement par l’État en 1977. D’abord ʺpieuse unionʺ, Notre-Dame d’Espérance a été érigée en congrégation de droit diocésain par l’évêque d’Amiens le 2 février 1984, puis associée à l’ordre bénédictin le 29 septembre 1990. Aujourd’hui, après avoir compté jusqu’à 17 prieurés en 2004, elle n’en totalise plus que dix en France dont celui de Bouchaud, dans les Bouches-du-Rhône pour le noviciat et celui d’Evian en Haute-Savoie pour le postulat. La Congrégation emploie 6 salariés équivalents à 4 temps complets. Elle fait partie du groupe Pierre-François Jamet de l’OCH (Office Chrétien des Handicapés) qui réunit une quarantaine de communautés ou lieux de vie accueillant des personnes en situation de fragilité.

Un souhait, une prière du prieur général : « une plus grande mixité entre personnes fragiles et bien portantes, attirées par la simplicité évangélique de notre charisme ».

*Lieux d’hébergement  pour personnes en difficultés psychiques sous forme de location individuelle avec des lieux communs.

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