Le rendez-vous de Copenhague éveillera-t-il «une conscience plus vive» ? par Mgr Ulrich, archevêque de Lille

Ulrich Laurent - Lille

« Je vais m’asseoir sur le rebord du monde
Voir ce que les hommes en ont fait
J’y avais mis des hommes de passage
J’avais mélangé les couleurs
Je leur avais appris le partage
Ils avaient répété par cœur
« Toujours » ! tous toujours dans la même ronde ».

Ces paroles du poète chanteur Francis Cabrel imaginent le regard de Dieu sur notre monde. D’emblée, elles reviennent à ma mémoire à l’heure où se tient à Copenhague du 7 au 18 décembre, un très important sommet. Les médias en parlent abondamment et tant mieux. Je reviens sur l’enjeu.

Spectateur des films dérangeants de Yann Arthus-Bertrand, Nicolas Hulot, et Al Gore, on se dit que décidément certains fléaux sont toujours possibles. Peu à peu, chrétiens ou non, nous admettons un constat « dur à entendre » dirait l’Évangile : la nature se dérègle, l’homme en paraît responsable ! Ce langage de catastrophe n’est pas celui des prophètes, mais des scientifiques. Les icebergs se déchirent, le niveau des eaux s’élève, les océans sont souillés, le déclin géologique du pétrole est annoncé, le désert s’étend, la surface des forêts diminue, le recours aux semences modifiées bouscule notre dépendance à la nourriture, les émissions de gaz à effet de serre semblent impossibles à maîtriser, une taxe carbone est annoncée mais incomprise. Le monde agricole si proche et si dépendant de la nature se découvre lui-même incompris et marginalisé, otage des directives complexes et contradictoires (1). Combien de peuples restent privés de biens essentiels comme l’eau ou la nourriture ? Bref, quelques reflets d’apocalypse apparaissent. Ce monde, si exaltant par ailleurs, serait-il finalement semblable à cette statue à la tête d’or fin, extrêmement brillante mais aux pieds de fer et d’argile, qu’évoque le prophète Daniel ? (2)

Ainsi se profile et se dessine depuis presque 40 ans une grave inquiétude, déjà évoquée en 1905 par un géographe mais considérablement accentuée par la Conférence de Stockholm en 1972, le Sommet de Rio en 92 et celui de Johannesburg en 2002. Toujours est-il que nous découvrons peu à peu notre responsabilité. Loin de moi l’idée de dramatiser, de céder aux excès de la mode. Mais l’inquiétude est réelle.

Vous avez été sensibles comme moi, je suppose, à cet unique chiffre que je retiens. Pour parvenir à réduire efficacement les émissions de gaz à effet de serre et être en mesure de limiter la hausse des températures à + 2°, il faudrait que les émissions globales puissent diminuer en 2050 de 50 à 85% par rapport à celles de 1990. C’est considérable, et il faut agir immédiatement.

Or, qui ne le voit désormais, de nombreuses incertitudes perdurent : quelle sera la nature juridique d’un accord éventuel, la nature juridique clarifiant souvent les orientations essentielles ? La bonne volonté de l’Europe trouvera-t-elle un écho partiel auprès des États-Unis et de la Chine sachant que le Brésil et l’Inde ont tout intérêt à obtenir un accord ? Les pays en voie de développement se rejoindront-ils dans une stratégie à choisir ? Les pays développés accepteront-ils de s’engager suffisamment dans un mécanisme de financement très complexe lui aussi ? Disons-le : ce sommet est-il déjà perdu ? Ne le croyons pas trop vite : sa préparation est déjà une bonne nouvelle, parce qu’elle révèle une vive conscience, parmi les chefs d’états, du devoir de travailler ensemble et autrement ; ils admettent l’idée qu’une nouvelle gouvernance s’impose, et veulent développer la persuasion et la pédagogie nécessaires, dans l’élan démocratique indispensable.

Pour nous citoyens de ce monde-là, un premier réflexe est nécessaire : éviter la menace du malheur, et les effets de la punition. Ici se niche en effet, pour des contradicteurs du christianisme, un dangereux amalgame. Pourtant la Bible nous ouvre la route. Dans la Genèse, Dieu nous confie la terre mais non sans réserve, ce qui passe parfois inaperçu ! « Remplissez la terre et soumettez-là. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel et de tous les animaux qui vont et viennent sur terre » (3) . On ne nous demande ni l’impossible, ni l’impensable ! À force d’enfermer l’Église dans ses maladresses, on en arrive à ne plus comprendre sa logique. Et pourtant il y a si longtemps qu’elle est écologique. Ses convictions en matière d’éthique, ses orientations dans le domaine de la famille, son appel au discernement quant au commencement ou à la fin de cette vie, sont-ils autre chose qu’une approche infiniment responsable et consciente de l’homme et du milieu où il s’épanouit ? Ne s’inspire-t-elle pas d’une irréfutable écologie spirituelle de l’existence ?

Voilà pourquoi notre mission en ce monde n’a rien à voir avec une malédiction : il s’agit au contraire d’une vraie bénédiction divine. Précisons : l’invitation de la Genèse « remplissez la terre et soumettez-la » ne nous autorise en rien à en disposer à notre profit. C’est d’esprit et de confiance dont il est question. Certes, la Bible nous invite à croiser deux exigences : la contemplation et l’amour de la nature d’une part, l’engagement et la croissance humaine d’autre part. Mais en quoi l’Écriture permet-elle à l’homme de tirer parti de la nature à son unique profit ? L’homme est appelé à gérer un bien qui n’est pas le sien. Le pape Benoît XVI nous le dit admirablement : « La nature est l’expression d’un dessein d’amour et de vérité. Elle nous précède et Dieu nous l’a donnée comme milieu de vie. Elle nous parle du Créateur (cf.Rm1, 20) et de son amour pour l’humanité… La nature est à notre disposition non pas comme « un tas de choses répandues au hasard » (Héraclite d’Ephèse), mais au contraire comme un don du Créateur qui en a indiqué les lois intrinsèques afin que l’homme en tire les orientations nécessaires « pour la garder et la cultiver (cf. Gn 2,15) » (4) .

Personne ne sera donc surpris de ma préoccupation : elle reprend toute la tradition chrétienne. Les chrétiens peuvent et doivent promouvoir un comportement, un style de vie susceptibles de mettre en valeur les dons de Dieu. Les engagements sont primordiaux au nom même de notre foi. Et de ce point de vue, on peut se réjouir de la part assumée par des chrétiens au sein de divers comités d’éthique. C’est toute une refondation contemporaine entre l’homme et la nature qu’il faut encourager. En 1990, le pape Jean-Paul II nous y incitait déjà : « L’humanité est invitée à explorer l’ordre de la nature, à le découvrir avec une grande prudence et à en faire usage en sauvegardant son intégrité » en soulignant qu’« à l’heure actuelle, on constate une plus vive conscience des menaces qui pèsent sur la paix mondiale … à cause des atteintes au respect dû à la nature, de l’exploitation désordonnée de ses ressources et de la détérioration progressive de la qualité de la vie » (5).

+ Laurent Ulrich, Archevêque de Lille
le 4 décembre 2009


(1) Les évêques de France observent avec une vive inquiétude les effets dévastateurs de la crise économique actuelle chez des jeunes agriculteurs courageux et entreprenants, ceux qui viennent de s’endetter et risquent de quitter cette profession avec une immense amertume.
(2) Daniel 2, 31-32.
(3) Genèse 1,28.
(4) Encyclique « L’amour dans la vérité », chapitre IV.
(5) Message du 1er janvier 1990.

à consulter sur le sujet

DSE doctrine sociale
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