« Petit pays » de Gaël Faye (éd.Grasset), Prix Goncourt des Lycéens 2016

couv_petit_pays_Gaël_FayeFiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC 2017, n° 13) sur le premier roman du musicien franco-rwandais Gaël Faye, Petit pays (éd. Grasset), Prix Goncourt des Lycéens, 2016.

Gaël Faye est un jeune auteur franco-rwandais, né, en 1982, d’une mère rwandaise et d’un père français. Arrivé en France à l’âge de 13 ans après avoir été mis à l’abri de la guerre interethnique entre Hutus et Tutsis par ses parents, il a grandi dans les Yvelines. Après des études dans une école de commerce et deux ans dans la finance à Londres, Gaël Faye a choisi de se consacrer pleinement à sa vocation artistique. Chanteur et compositeur de rap, il s’est essayé à l’écriture romanesque. Petit pays est son premier ouvrage, déjà récompensé par le Goncourt des Lycéens.

« Petit pays » désigne l’espace familier et rassurant dans lequel vit Gabriel et ses amis – les deux jumeaux, plus Armand et Gino. Ce petit pays est l’impasse de Bujumbura où ils ont tous leur maison et vivent dans un quartier paisible. Certes, Gabriel découvre par bribes les réalités politiques du Rwanda. Sa mère et sa grand-mère sont réfugiées au Burundi. Une partie de la famille continue de vivre au Rwanda.

L’histoire commence sous le signe douloureux de la crise conjugale qui affecte le couple de ses parents. « Le début de la fin du bonheur… » est-il écrit dès le deuxième chapitre. Cette tension entre le père et la mère oblige Gabriel et sa soeur Anna à vivre avec, à s’y adapter et à être l’otage de leurs parents. Pour autant, le récit parcourt des souvenirs d’enfance qui fleurent bon la liberté : celle de cinq enfants qui jouent et apprennent les choses de la vie. Mais la tension ne cesse de monter : c’est le fruit des réalités politiques qui va finir par s’imposer (les élections présidentielles burundaises de 1993 qui voient l’échec de l’ancien parti unique, le coup d’État d’octobre qui renverse le résultat des élections, les tensions ethniques entre Hutus et Tutsis). Du voyage au Rwanda pour aller voir la famille de sa mère, tante Eusébie et ses quatre enfants Christian, Christelle, Christiane, Christine, y faire la connaissance de la fiancée de son oncle Pacifique, Gabriel revient avec le spectacle de l’extrême fragilité des relations interethniques.

Tout est de plus en plus tendu… jusqu’au déclenchement du massacre des Tutsis au Rwanda en avril 1994 et ses répliques au Burundi avec la guerre civile. Gabriel et sa soeur seront mis à l’abri en France non sans avoir assisté à l’effondrement de leur « petit pays ». Leur mère, partie au Rwanda dans l’espoir de sauver sa soeur et ses neveux, reviendra hébétée de cet enfer. Bujumbura devient un théâtre d’hostilités : Gabriel verra les employés de son père assassinés. Pire, il sera embarqué lui aussi dans la violence que génèrent des groupes de jeunes. Mais ne révélons pas toute l’intrigue.

Une analyse littéraire devra souligner que le suspense et la marche inexorable vers la déréliction finale sont des qualités clefs du roman. Pourtant ce diagnostic paraîtra dérisoire quand, pris dans l’histoire, on est comme convoqué au spectacle de la folie humaine et de l’absence de Dieu. Les mots restent simples mais la réalité qu’ils décrivent est insoutenable : c’est de cela que la mère de Gabriel ne se remettra pas.

« J’ai prié pour nous, Gaby, j’ai prié autant de fois que j’ai pu. Plus je priais et plus Dieu nous abandonnait, et plus j’avais foi en sa force. Dieu nous fait traverser les épreuves pour qu’on ne doute pas de lui. Il semble nous dire que le grand amour est fait de confiance. On ne doit pas douter de la beauté des choses, même sous un ciel tortionnaire. Si tu n’es pas étonné par le chant du coq ou par la lumière au-dessus des crêtes, si tu ne crois pas en la bonté de ton âme, alors ne te bats plus, et c’est comme si tu étais déjà mort » (p. 180- 181) explique Donatien au jeune Gabriel, alors que tout déjà n’est plus que sang, mort et larmes.

Petit pays est un grand livre qui vient s’inscrire dans la liste des ouvrages nés des traumatismes de l’histoire. La littérature continue de se dresser contre le déchaînement de la mort et de la violence. En fermant ce roman, on est, au sens propre, sans voix et, pour ceux qui ont l’habitude de lire le soir, et de terminer la journée par la prière, cette prière reste alors totalement silencieuse face à la béance aperçue. Incroyable et douloureuse expérience qui rejoint dans l’incompréhension humaine la douleur de toutes les victimes et l’anéantissement devant leurs bourreaux.

Benoît Pellistrandi

 

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