« 2016, année Malraux »

couv_Lettres_Choisies_MalrauxFiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC 2017, n°5) consacrée à l’écrivain André Malraux (1901-1976) dont on a fêté le quarantième anniversaire de la disparition en 2016.

Le fait est passé quasiment inaperçu : 2016 a vu la célébration du quarantième anniversaire de la disparition d’André Malraux (1901 – 23 novembre 1976). Le ministère de la Culture n’a rien fait à cette occasion et c’est le monde de l’édition, et tout singulièrement Gallimard, qui s’est mobilisé1.

On signalera la parution d’un volume Malraux dans une nouvelle déclinaison de la Pléiade, celle de grands textes édités à part. Malraux, qui a bénéficié d’une édition de ses Oeuvres complètes en six volumes, est désormais d’un accès plus facile. Le texte central est constitué par La condition humaine, Prix Goncourt 1933 et est accompagné de son dernier écrit romanesque publié en 1948 Les noyers de l’Altenburg, ainsi que de quelques textes sur l’art et la méditation sur la mort que constitue Lazare, un livre publié en 1974 après qu’André Malraux a échappé à la mort2.

Gallimard publie dans sa collection blanche la correspondance Camus-Malraux (1941 – 1959), accompagnée, pour étoffer le livre, de textes critiques de Camus sur Malraux ainsi que son adaptation théâtrale du Temps du mépris et d’une note critique de Malraux sur Camus.

En collection de poche Folio-Gallimard, on trouvera Lettres choisies et André Malraux face à la jeunesse3. Comme toute publication de correspondance, les Lettres choisies de Malraux oscillent entre courriers très formels et échanges épistolaires importants. De Bernanos à Indira Gandhi, d’André Gide à Roger Nimier, de  Romain Gary et Louis Guilloux à Raymond Aron, en passant par l’abbé Bockel, Léopold Sedar Senghor, Roger Caillois, le général de Gaulle… toute une époque internationale revit sous nos yeux quand la lettre faisait fonction de téléphone et de SMS (certaines sont très brèves en effet) !

couv_Malraux_face_aux_jeunesLe Malraux face aux jeunes est à la fois savoureux par le décalage culturel dont il témoigne entre un ministre génial et volontairement farfelu4 et par les visions que développe cet homme habité d’une exigence culturelle et spirituelle. À une jeune fille de dix-huit ans qui lui demande ce que signifie son agnosticisme, Malraux développe une réponse argumentée et simple. « Mon point de vue à moi c’est : je voudrais avant tout savoir de quoi je parle. Quelle signification précise donne-t-on au mot Dieu ? Je constate qu’à chaque fois je me trouve face à l’impossibilité humaine de mordre sur ce que serait la notion de Dieu »5. Un peu plus loin, il voit dans les Évangiles « la grande puissance prophétique », non pas « le prophète qui vous découvre ce qui va se passer mais du prophète qui vous découvre votre vérité ».

Terminons ce rapide passage en revue de l‘actualité éditoriale autour d’André Malraux en signalant le passionnant livre d’Alexandre Duval-Stalla, André Malraux-Charles de Gaulle : une histoire, deux légendes6. Il s’agit d’une biographie croisée de l’écrivain et de l’homme d’État rendue possible et pertinente par l’amitié si forte qui les a unis à partir de 1945. La conversion de Malraux au gaullisme s’inscrit, aussi paradoxal que cela ait pu paraître aux yeux de ses contemporains comme le prolongement de son engagement révolutionnaire dans les années 1930. Certes Malraux abandonne le communisme mais il voit dans la révolte de De Gaulle la manifestation d’une volonté commune, celle qui permet de faire l’expérience d’une fraternité7. Le grand mérite du livre d’Alexandre Duval-Stalla est de faire revivre l’épopée de De Gaulle et l’aventure de Malraux en montrant comment elles convergent. Citant de très nombreux textes et témoignages, le livre est vivant en même temps qu’il pousse à la réflexion. Comment ne pas relire avec étonnement les intuitions fulgurantes d’une politique culturelle voulue par le fondateur de la Cinquième République et servie par un intellectuel hors pair (fort heureusement secondé par une escadre de hauts-fonctionnaires aussi efficaces que dévoués)? On revient ainsi aux sources de la politique culturelle telle qu’elle a été pensée, entre 1958 et 1969, pour un pays, la France, frappé par des métamorphoses historiques massives (la décolonisation, l’irruption du monde de la technique comme nouvelle anthropologie) et une société qui n’était déjà plus homogène (Malraux est servi par le sens de l’histoire qui lui permet de comprendre que toute jeunesse est rebelle pour se faire une place dans une société d’adultes établis). Mais on revient aussi aux grands combats idéologiques des années 1930, à la question du communisme puis celle de la Résistance qui ont scandé et structuré un débat politique marqué par le risque de l’engagement, c’est-à-dire par celui de la mort. C’était une autre époque, on en conviendra, mais elle a posé des questions fondamentales que nous avons tendance à occulter. Cet oubli n’est-il pas la source de nos angoisses ?

30 mai 1968: (de g à d) Alain POHER, Maurice SCHUMANN, Michel DEBRE, André MALRAUX, Manifestation Gaulliste sur les Champs-Elysées, Paris (75), France.

30 mai 1968: (de g à d) Alain POHER, Maurice SCHUMANN, Michel DEBRE, André MALRAUX, Manifestation Gaulliste sur les Champs-Elysées, Paris (75), France.

De Malraux aujourd’hui on ne cite plus que la formule déformée : « le XXIe siècle sera religieux (ou spirituel, selon les versions) ou ne sera pas ». Pour comprendre ce trop lapidaire testament de Malraux, il faut d’abord relire Malraux, le romancier mais aussi le penseur sur l’art. À fréquenter une grande oeuvre, on ne peut que sortir grandi. Mais surtout, on y trouve une exigence humaine et fraternelle qui condamne toute petite politique et qui rappelle le caractère tragique de l’Histoire. Celle-ci ne se laisse pas réduire par des trucages idéologiques et des astuces de communicants. Elle convoque l’homme. Tel le roseau pensant pascalien, l’homme malrucien sait que l’Histoire le broie tout en dépassant cet apparent échec dans l’affirmation toujours refaite de la grandeur indépassable de l’homme qui passe par l’expérience concrète de la fraternité humaine. Serait-il impossible aujourd’hui de passer par cette oeuvre exigeante alors que l’horizon de notre histoire se trouble à nouveau ?

Benoît Pellistrandi

1 Voir l’article de Christine Clerc dans Figarovox.
2 On trouve aussi le texte « esquisse d’une psychologie du cinéma », « Le Triangle noir »
3 Dans la collection Folio à 2 €
4 À une jeune fille qui, en 1967, lui demande comment il peut comprendre la jeunesse, il rétorque qu’il a lu tout Rimbaud ! Et il continue en évoquant une conversation qu’il a eue, jeune homme, avec Paul Valéry !
5 André Malraux, face à la jeunesse, p. 52. Voir l’échange complet p. 51-57
6 Initialement publié en 2008
7 « Le gaullisme tel qu’André Malraux le ressent, tel qu’il le défend, répond à une triple exigence : la liberté, la fraternité, l’autorité. (…) À ses yeux, le gaullisme permet le règne de la liberté. (…). Il le définit et comme ‘la responsabilité au service de la liberté et aussi comme une fraternité (…), celle des citoyens unis en un seul peuple, rassemblés. (…) Une fraternité d’hommes libres marche vers un grand dessein sous la conduite d’un chef : ainsi apparaît le gaullisme pour André Malraux », Janine Mossuz-Lavau, André Malraux et le gaullisme, Paris, 1982

Sur le même thème

  • Culture

    On ne peut pas évangéliser, faire résonner la Bonne Nouvelle dans le monde d’aujourd’hui sans tenir compte de la culture. Les papes, depuis le concile Vatican II ont beaucoup insisté à ce sujet. Le christianisme est lui-même porteur de culture à travers la théologie, l’art, la liturgie, les œuvres caritatives