« Les pathologies politiques françaises » d’Alain Duhamel

couv_alain_duhamel_pathologies_politiquesFiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC 2016, n°37) sur le livre d’Alain Duhamel, Les pathologies politiques françaises (Plon, 2016).

Inutile de présenter Alain Duhamel, commentateur avisé de la vie politique française depuis plus d’un demi-siècle. Ce journaliste, auteur de près d’une vingtaine de livres, représente un certain idéal de la presse française de qualité : style vif et efficace, mise en perspective historique, analyse couplée au sens du récit. Le livre Les pathologies politiques françaises illustre à nouveau ces qualités avec sans doute une ambition supérieure. L’essai vise à tracer un portrait véritable et durable de la vie politique française et à comprendre les troubles contemporains. En se plaçant délibérément dans la perspective historique, Alain Duhamel veut aussi relativiser la crise actuelle française. Ce faisant, il montre aussi combien la culture politique est essentielle en ce qu’elle configure les sentiments, les références et les repères de nos compréhensions du temps présent. Il souligne aussi combien l’une des caractéristiques françaises est la prégnance des divisions : « Les querelles françaises apparaissent ainsi toujours aussi vivaces mais largement renouvelées. Immuables par leur profondeur, changeantes par leur territoire » (p. 231).

Alain Duhamel identifie sept pathologies françaises : l’inconstance, le déclinisme, l’égalitarisme, le nationalisme, le conservatisme, l’extrémisme, l’intellectualisme et la discorde. À chacune, il leur consacre un chapitre en montrant la trace qu’elle laisse dans notre culture politique et le rôle qu’elle joue dans les mobilisations partisanes et intellectuelles. Cela permet un joli parcours historique depuis la Révolution de 1789 jusqu’à nos jours. Duhamel a bien perçu que la politique contemporaine est affaire de longue durée et qu’elle puise aux origines mêmes du grand réordonnancement du monde que fut la proclamation de la souveraineté du peuple. Cet acte révolutionnaire ouvrait la voie à la participation populaire dans la politique et transformait la définition même du politique.

L’inconstance, c’est pêle-mêle l’instabilité constitutionnelle (depuis 1789, nous avons usé pas moins de douze régimes…) et l’instabilité gouvernementale. Les gouvernements stables (Napoléon, Louis-Philippe, Napoléon III, De Gaulle) durent au maximum 18 ans et pour les deux plus longs (Louis-Philippe et Napoléon III), on ne peut pas dire que le régime soit démocratique.

Le déclinisme – « le pire défaut politique, le plus répandu, le plus persistant, le plus destructeur » (p. 39) – est une vieille idée, souvent renouvelée. Loin d’être vraie, elle s’inscrit dans les mentalités françaises et devient auto-réalisatrice. Même si Alain Duhamel exhume des exemples sur le XIXe et le XXe siècle, on constatera cependant que le gros du chapitre porte sur les vingt dernières années. Où l’on voit que le déclinisme est un symptôme du malaise français plus qu’une réalité absolue.

Sur l’égalitarisme, Alain Duhamel réussit à en pointer le vrai drame. Cette passion génère une société de défiance, notamment à l’égard des élites, toujours comptables des échecs, rarement tenues pour responsables des succès collectifs.

Le thème du nationalisme est aujourd’hui associé à la montée en force de l’extrême droite. Duhamel déplore cette nouvelle poussée d’un nationalisme cocardier qui affaiblit le patriotisme républicain. Chez le centriste qu’est Duhamel, l’utopie européenne et donc le post-nationalisme restent des promesses pour qui a le courage de se souvenir que « le nationalisme, c’est peut-être la figure contemporaine du Mal, la forme moderne de l’Enfer de Dante. Une pulsion de mort » (p. 93).

Quant au conservatisme, il serait une sorte de mirage. Alain Duhamel souligne les fameux blocages sociaux et économiques qui permettent aux plus réformateurs de taxer les syndicats de conservateurs au point de brouiller toute topographie politique, mais il rappelle combien les Français ont vu leurs moeurs évoluer et combien ils font de cette évolution un marqueur fondamental de la modernité. Le conservatisme français serait donc schizophrène et c’est sans doute la raison pour laquelle le mot et la notion restent les réalités et les options les plus mal définies de notre vocabulaire et de notre grammaire politiques.

Avec l’extrémisme, Duhamel nous rappelle combien l’histoire est nécessaire pour appréhender le présent. Car si le Front National pèse lourd dans nos débats, n’a-t-on pas un peu trop vite oublié le poids du PCF à partir de 1945 ? Les extrêmes nous menacent : mais lors de l’affaire Dreyfus, dans les années 1920 avec l’Action française, dans les années 1930 avec les ligues, leur menace n’était-elle pas autrement sensible, y compris dans la violence ?

L’intellectualisme est un travers français, croit-on et répète-t-on à l’envi. Duhamel enfourche ce cheval de bataille, sans doute le plus facile. Mais les intellectuels dans leurs passions et leurs ridicules ne sont-ils pas les premiers à se donner des bâtons pour se faire battre ? Il faut dire que risquer une parole durable et sereine sur l’éphémère même qu’est la politique est un exercice périlleux. Or, comme l’écrivait François Goguel, les Français pensent la politique en terme d’histoire et du coup lui confère une essence à laquelle elle ne peut prétendre. Sauf peut-être à voir plus loin, plus haut. De Gaulle n’avait-il pas martelé que la culture  générale est l’école du commandement ?

Avec la discorde, A. Duhamel termine son parcours. Il explique que cette capacité des Français à se déchirer a pour effet de conduire le pouvoir à s’affirmer de manière forte et autoritaire. La pente naturelle de la division appellerait en retour une digue forte, celle de l’autorité de l’État. Très abimée aujourd’hui, la disparition ou l’évaporation de cette autorité serait la cause de nos troubles.

Pleine d’élégance et de style, la démonstration d’Alain Duhamel a tout pour convaincre. Son essai réussit à introduire une réflexion équilibrée et sereine sur nos passions politiques en montrant qu’elles constituent des pathologies. L’essayiste achève là son effort : il a décrit, il a fait comprendre, mais il n’entend nullement corriger. Telle est la France, tels ses équilibres intellectuels, idéologiques, partisans. Il faut donc faire avec et l’on comprend qu’en politique le plus dur ce sont ces représentations mentales que nos imaginaires, nos idées, nos pratiques, notre histoire charrient et qu’ainsi nous sommes lourdement déterminés. Doit-on pourtant en subir la fatalité ?

Benoît Pellistrandi

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