« Parce que la peau à une couleur. Une visite au Prado »

prado_bosch2Fiche de l’Observatoire Culture et Foi (OFC 2016, n°20) sur la couleur de la chair au Musée du Prado, à Madrid (Espagne), par son Président, Mgr Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers.

Revisiter un musée que l’on connaît, dont on sait les oeuvres majeures permet de se donner un thème de visite.
A Madrid il y a quelques jours, c’est l’une des premières oeuvres regardées qui m’a inspiré une thématique, celle de la couleur de la chair, en particulier de la chair du Christ ; aussi à travers cet élément, le choix d’une couleur, d’un pigment s’exprime une lecture et de l’humanité en général, et de l’humanité assumée par le Verbe en particulier.
L’oeuvre qui m’a marqué, dans les premières salles du musée madrilène est une Déposition de croix de Roger van der Weyden. Ceux qui connaissent ses oeuvres savent son art du trait, du modelé, du relief, un des maîtres absolus de la peinture flamande.

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Le retable de Madrid situe en parallèle le Christ dont le corps est accueilli au pied de la croix et Marie dont le corps fracassé par la douleur est accueillie par saint Jean. Les attitudes des deux corps sont identiques, Marie, au-delà de la douleur, est ici pleinement disciple, elle met non seulement ses pieds, mais tout son corps, tout son être dans la parfaite imitation de celui qui est tout autant son Fils et son Sauveur. On admirera le bleu de son vêtement ainsi que les plis de celui-ci, mais surtout on notera que la peau qui est la plus marquée par la mort, qui en porte le gris cadavérique, est celle du visage de Marie davantage que celle du corps de Jésus. Ainsi se vit ce qui proclamera l’apôtre Paul : « ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église » (Col 1, 24).

Un peu plus loin, un plus petit format d’Antonello da Messine montre un Christ mort dont le corps est soutenu par un ange. Ici, on est frappé par le réalisme d’un corps qui est celui d’un cadavre, dont la peau est jaune et cireuse, d’aucun attrait. Oui, il est vraiment mort, il a aimé jusqu’au bout ; mais, celui qui est mort est le Fils, le Sauveur, l’ange l’atteste de son geste pourtant tout de simplicité.

Comment venir à Madrid sans admirer les Velasquez ? Il y a entre autres oeuvres magistrales une célèbre Crucifixion, presque maniériste, en particulier par la mèche de cheveux qui retombe en cachant une partie du visage. Vélasquez présente une belle anatomie, celle d’un supplicié pourtant, mais dont le corps laisse jaillir une lumière qui inonde, non la scène, puisque le fond de l’oeuvre est noir, mais ceux qui la contemplent.

Vélasquez… et Goya. Lui aussi a peint une crucifixion, elle fait volontairement écho à celle de Vélasquez et en déploie les mêmes harmoniques. On pourra aussi remarquer comment Goya traite les corps. C’est ainsi le visage à la douce carnation d’une jeune ibère qui est protégé du soleil par l’ombrelle que lui tient un serviteur, le rendu de l’ombre n’altère en rien la douceur des traits de ce très beau visage.

Et c’est encore un autre corps de lumière, non plus la lumière divine mais celle tout simplement d’un corps offert sans retenue mais sans provocation, celui de la Maja nue. Par la suite, Goya ne pourra plus peindre avec cette insouciante et cette joie, la guerre est intervenue, les 2 et 3 de mai, et ce seront les peintures noires dont ce Saturne qui, pour vivre, doit tuer ses propres enfants tels ces pays européens qui s’entre déchirèrent.

La noirceur de ses oeuvres de Goya ne peut que faire penser au même désenchantement douloureux et même rageur que les expressionnistes allemands servirent de si forte manière.

musée_prado_boschEnfin, durant cet été 2016, le Prado accueille une exceptionnelle exposition qui rassemble la presque totalité des oeuvres de Jérôme Bosch. Même si des spécialistes pourront sans doute infirmer mon propos, Bosch est un artiste sans prédécesseurs ni successeurs, un homme à l’oeuvre totalement unique, ce qui fait son prix. Le premier retable exposé, un Ecce homo, confirme l’originalité de l’artiste : le corps exposé du Christ au Dallage est de couleur rose, un vrai rose, un rose franc, tel que certains aiment parfois en arborer pour Gaudete et Laetare.
Là aussi, par cette couleur étonnante, même si elle revient souvent dans ses oeuvres dans maints habits portés par les personnages représentés, se manifeste l’originalité de celui que les Espagnols dénomment El Bosco.

On comprendra que les reproductions de cette fiche ne rendent pas justice à la qualité des peintures ni aux nuances de couleurs qui fondent ce propos. Chacun est donc appelé à fréquenter les musées et les oeuvres qu’ils exposent.

Mgr Pascal Wintzer
Archevêque de Poitiers

 

 

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