Anne Wiazemsky, Un saint homme

1009019Dans un récit autobiographique plein de finesse et de délicatesse, Anne Wiazemsky petite fille de François Mauriac, raconte le lien d’amitié avec le prêtre qui lui a donné le goût de la littérature et de l’écriture lorsqu’elle avait 10 ans.

Quel est l’intérêt de ce livre passionnant ? Trois aspects se dégagent au fil des pages :

• Le livre retrace tout d’abord l’itinéraire d’Anne Wiazemsky, depuis son adolescence à Caracas jusqu’à aujourd’hui. Itinéraire humain, artistique et littéraire foisonnant et tout en rebondissements. Elle reconnaît elle-même qu’elle a parfois mené une « vie de patachon ». Fille de diplomate, héritière d’une lignée de princes russes, Anne Wiazemsky commence un parcours scolaire à Caracas. Nous sommes dans les années 50. Parmi ses professeurs se trouve un Père de Chavagnes (Vendée), de la Congrégation des Fils de Marie Immaculée (FMI), le Père Marcel Deau. Ce prêtre va vivre une belle complicité avec cette adolescente curieuse. Il restera toujours dans la bonne distance exigée pour tout bon éducateur.
Au Colegio Francia, l’adolescente échange avec le Père Marcel Deau sur des auteurs comme Gilbert Cesbron ou Cronin, réalise des comptes rendus de lecture, écrit dans un petit journal L’Écureuil. Le Père Marcal Deau transmet à cette collégienne non seulement la passion de la littérature, mais un art de vivre : « Il est le premier à m’avoir encouragée à écrire, à m’avoir fait confiance » « Il est celui qui est à l’origine de ma vocation d’écrivain. » dit-elle dans une interview.

• Un second aspect mérite que l’on s’arrête sur ce récit Un saint homme qui met en valeur une belle figure de prêtre. Missionnaire au Vénézuela, Père Marcel Deau enseigne le Français et le latin à Anne Wiazmesky. Puis il perd de vue son élève en raison d’une nomination au Cameroun. Il termine sa vie à Bordeaux. La rencontre entre le Père Marcel Deau et Anne Wiazemsky, racontée dans Un saint homme, 25 ans après les années à Caracas est d’une grande intensité. Elle a lieu à Malagar, maison où habita François Mauriac et qui appartient aujourd’hui à l’Etat.

En arrière fond, le récit nous promène de la maison de François Mauriac au sanctuaire de Verdelais. À proximité de la basilique se trouvent 14 chapelles correspondant aux 14 stations du chemin de croix. Du calvaire, le visiteur peut admirer les vignes de la vallée de la Garonne et les pins des Landes. Anne Wiasemsky décrit les lieux avec nostalgie. On croit retrouver les belles évocations de la nature si nombreuses dans les romans de François Mauriac : « Nous nous asseyons sur les marches, à mi-hauteur. Devant nous le paysage s’étend à l’infini : les vignes qui descendent vers la Garonne que l’on devine couler entre les peupliers, les vignes encore, le début des landes au fond qui précèdent l’Océan. Il fait beau, le ciel est si bleu que l’on distingue le moindre détail. Nous nous taisons, comme pareillement émus par la beauté du lieu, sa quiétude. Je ne m’étonne pas que ce soit si facile de retrouver le Père Marcel Deau après toutes ces années. Je nous sens à l’unisson… » (p 33).

Anne Wiazemsky ne tarit pas d’éloge envers ce prêtre remarquable qui a laissé un excellent souvenir à Bordeaux jusqu’à sa mort le 26 mars 2006. Les deux derniers chapitres de Un saint homme, exprime avec émotion sa mort suite à un cancer. La figure de ce prêtre est attachante. L’écrivain nous le présente comme un homme sensible, spirituel, pasteur. L’épisode du baptême de la fille de Laurence, amie d’Anne Wiazemski, montre que ce prêtre était un accompagnateur talentueux, plein de discernement, à la fois rigoureux et apte à s’adapter à toutes sortes de situations.

• Ce récit autobiographique présente enfin un autre intérêt : il pose les grandes questions existentielles sur la vie, la mort, l’amour, la séparation et les retrouvailles, les recherches spirituelles et Dieu. Il retrace l’évolution littéraire de l’auteur : les premiers romans écrits dans un certain contexte, les difficultés rencontrées par les proches qui trouvent que l’auteur, livre après livre, dévoile un peu trop les histoires de famille.

Anne Wiazemsky a été la compagne de Jean-Luc Godard. Elle a joué dans Au hasard Balthazar de Robert Bresson, alors qu’elle était encore adolescente. L’écriture de ce récit est d’une grande beauté, avec des dialogues denses reflétant des états d’âme et finalement une belle interrogation sur le sens de la vie, sur la nostalgie de l’enfance, sur la perte d’une
maison aimée (Malagar), sur Dieu.

Hubert Herbreteau