« Verdun » de Yann Moix

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) n°15 à propos de l’ouvrage de Yann Moix : « Verdun » le mercredi 20 avril 2022.

Choisissant la forme romanesque, Yann Moix publie, en quatre volumes, le récit de sa jeunesse : Au pays de  l’enfance immobile.  Accentuant certainement la dérision, il propose quatre arrêts, quatre villes, qui ont scandé cette jeunesse.  Avant Paris, et après Orléans et Reims, il vient de publier Verdun. Nous verrons avec Paris, mais, pour le  moment, aucune de ces villes ne trouve grâce à ses yeux, parce que, tout bonnement, en elles s’incarnent  ces années d’ennui profond qui furent celles de sa jeunesse.

Le titre du présent livre laisse comprendre qu’il va y être question de son service militaire. Les pages ne  manquent pas qui soulignent la médiocrité des personnages qu’il croise, surtout des badernes ou des lâches,  ou encore faisant peser sur les recrues une autorité qui se nie dans les brimades, les insultes, la suffisance. Yann Moix rejoint ici une tradition littéraire critique de l’institution militaire. Il le fait dans l’attitude de  l’observateur qui, peut-être pour se protéger, se tient à distance de son sujet et met la loupe sur ce qu’il y a  de moins glorieux chez des hommes, qui, ordinairement, revendiquent la recherche de la gloire.

Le livre se lit avec intérêt, amusement aussi ; les portraits sont bien troussés ; le style peut se complaire  parfois dans une recherche un brin affectée.

S’il est question de l’armée, on pourra repérer, ici et là, une critique qui peut s’adresser, avec raison, à tout  corps social qui, parce qu’il est déterminé, peut confiner à la fermeture sur lui-même. Au risque qu’il  accueille, parce qu’ils y recherchent statut et protection, des personnes qui se sentent inaptes à la vie  ordinaire. L’institution ne les aidera naturellement, bien au contraire, ils n’y seront pas stimulés ou conduits  à accéder à un véritable âge adulte.

« L’armée possédait l’avantage d’accueillir, comme le roman, ceux que la réalité faisait fuir. Sous l’habit kaki,  tout était possible : on redevenait l’enfant que le monde extérieur, peuple des adultes qui l’avaient bâti en  en édictant les règles, sans cesse pourchassait pour le punir. Le Bréot écoulait au régiment une folie qui, dans le civil, l’eût tout simplement empêché d’être celui qu’il était. Ici, au 3e Rama, Le Bréot était non seulement  chez lui mais il était lui » (p. 122-123).

On peut lire Moix de diverses manières. Il a l’esprit vif, la langue acérée, il ne ménage pas l’ironie, voire la  moquerie… certes. Cependant, son regard et sa plume expriment aussi, avant tout même, une compassion  pour les laissés pour compte, les « gens de peu », ceux où tout est sous le signe de la médiocrité, celle-ci non  comme un jugement moral mais comme le constat d’existences marquées par la tristesse. Il s’agit non de se  gausser d’eux mais de dénoncer les vrais petits, les vrais médiocres, qui profitent de ces faiblesses pour se  donner le sentiment d’exister en les écrasant. Aussi de dénoncer des conditions sociales qui perpétuent  misères et tristesses chez les mêmes, dans les générations et dans les espaces.

« Il y a des hommes que la lumière insulte ; qui, enveloppés par des ténèbres invisibles à l’œil nu, voués tout  entier à l’épuisement d’être, sont absents de la vie. Ils se tiennent là, parmi nous, à côté de nous, ils nous  frôlent, nous les effleurons, ils sourient poliment, parlent, se montrant affables mais, abattus, vaincus depuis  leur naissance, ils se situent – avec les débris et les spectres – sur le versant funèbre de l’existence. Ils ignorent  l’impatience, la frivolité, les cimes ; ils rampent sur les jours, surnagent au milieu des heures, aggravent l’âge  venant leur destin de poids morts. Sans volonté véritable, ils acceptent les fatalités et accueillent les accidents  avec l’impassibilité d’un caillou que trimbalent les courants marins.

Ils n’évoluent jamais, se répandent dans l’avenir à la façon d’un gaz parfait remplissant selon la loi de Mariotte  le volume qu’on lui octroie. Ils subissent sans se plaindre. Ils souffrent moins que n’importe quel apologue  du bonheur ; le bonheur déçoit toujours, la tristesse jamais » (p.138-139).

Plusieurs pages sont consacrées aux réalités chrétiennes. Yann Moix est particulièrement sensible aux figures  féminines pour lesquelles la foi est intranquille, Thérèse de Lisieux, Simone Weil ; il consacra un livre à Edith Stein. Il est donc bienvenu de le lire stigmatiser la religion moderne du bien-être et de l’épanouissement  personnel.

‘’Je cherche la paix intérieure’’ – formule lassante, pour ne pas dire insupportable, si ressassée qu’elle me  semblait moins arrimée aux Évangiles qu’au roman de gare. Le rayonnement absolu ne passe jamais par la  paix : la foi consiste en un chaos permanent, et se réconcilier avec soi, quand bien même on intitulerait Dieu  cette réconciliation, est d’abord une déchirure. Croire se fait dans l’inquiétude ; prier n’appelle pas la  sérénité, mais la secousse. Ce que l’on devrait chercher, à genoux dans une chapelle ou dans l’intimité de sa  chambre, ce n’est pas l’attendrissante venue des colombes, l’haleine chauffée du souffre, mais l’accablante  violence d’une électrocution. La foi n’est pas un dimanche de caserne : c’est un samedi soir de liesse »  (p. 146-147).

+ Pascal Wintzer, Archevêque de Poitiers

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L’Observatoire Foi et Culture (OFC), voulu par la Conférence des évêques de France a pour objectif de capter « l’air du temps » en étant attentif à ce qui est nouveau dans tous les domaines de la culture : la littérature,[...]