SANCTION, PEINE ET RÉINSERTION UN HOMME VAUT PLUS QUE LES ACTES QU’IL A COMMIS

« Je désire adresser un appel pressant au peuple de Dieu, pour que tout chrétien se sente engagé à être un vaillant défenseur de la dignité de la personne humaine et de ses droits inaliénables. »
Benoît XVI, Message pour la 40 e Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2007.

Cette réflexion du Conseil national de l’aumônerie catholique des prisons a été élaborée à partir de l’expérience de tous ceux qui constituent les « communautés chrétiennes incarcérées » : aumôniers, bénévoles et personnes détenues qui participent aux activités de l’aumônerie.

Nous fondons nos analyses et nos propositions sur notre contact quotidien avec les personnes détenues, les professionnels de la détention et en référence à une conception chrétienne de l’homme et de l’éthique.

Avec ces éléments de réflexion, nous souhaitons apporter notre concours au débat national actuel sur la prison dans le cadre de la préparation des élections présidentielles et législatives.
Nous partageons l’indignation de différents groupes et associations et faisons nôtre leur constat d’un système carcéral inacceptable, dont la presse se fait régulièrement l’écho. Nous nous associons à leur demande d’élaboration et de vote par le parlement d’une loi pénitentiaire.
En même temps, nous voulons souligner les difficultés des membres du personnel pénitentiaire à gérer de nombreuses contraintes avec des moyens limités.

Nous invitons les membres des équipes d’aumônerie à échanger avec les personnes détenues, les acteurs de la justice et du système pénitentiaire, les élus, les candidats, les citoyens et les responsables des communautés chrétiennes, à partir des points abordés dans cette réflexion.

  • Pour aller plus loin… Documents Épiscopat : « L’Église, envoyée et présente en prison », n° 3/2007, 20 pages, 4,50 .
    Commandes : Documents Épiscopat, 106, rue du Bac, 75341 Paris cedex 07, tél. 01 45 49 69 74.

1. LA JUSTICE

Entre attentes et rejets inconsidérés, la justice doit rester ouverte sur un horizon qui la dépasse

Même imparfaite comme le sont toutes les institutions humaines, l’institution judiciaire est nécessaire pour dire la loi et la faire respecter. En sanctionnant ceux qui la transgressent, elle garantit la cohésion sociale et la liberté d’autrui.

Parce que la vraie justice est le droit du faible, elle ne peut devenir l’otage de l’opinion publique ou des médias. Elle ne s’exerce pleinement que loin des passions et dans la quête d’une objectivité et d’une vérité toujours à conquérir.

À celui qu’elle sanctionne, la justice doit rappeler, quels que soient les actes commis, qu’il reste membre de la société dont il a transgressé les règles. Elle lui signifie qu’il va revenir un jour dans la société, et elle lui demande d’assumer sa responsabilité en gage de sa volonté de réinsertion. En même temps, la justice fait droit à la victime en la recon- naissant publiquement comme telle. Elle cherche à la restaurer dans ses droits et dans sa dignité blessée.

Nous affirmons qu’il n’est pas possible de réduire la victime à sa souffrance ni le délin- quant à son crime ou à son délit. Si la peine ne permet pas, à la fois, la guérison de la victime et la réinsertion du condamné, elle est une injustice de plus.

La société doit assumer un risque toujours possible de récidive. La réussite de la libé- ration est à ce prix. Une société obsédée de sécurité qui réclame du tout carcéral et demande à la prison d’enterrer ses peurs et de neutraliser ses risques, rend illusoire la mission de réconciliation de la justice. C’est, à terme, la négation du droit.

La foi chrétienne invite à porter sur la victime et sur le coupable un regard d’espérance 2 qui rende possible un avenir. Le souvenir de l’agresseur peut enchaîner la victime, la condamnation peut enfermer le coupable dans son passé. Le pardon est alors une invi- tation faite à la victime de ne pas s’identifier à ses seules blessures et au coupable à ses seuls actes. Pardonner, c’est croire que la personne ne se réduit pas aux actes com- mis et que quelque chose de neuf est possible. Parce qu’il guérit le cœur de la victime et celui du coupable, le pardon accomplit l’acte de justice au-delà de lui-même et l’inscrit dans un horizon qui le dépasse.

Une des missions importantes de l’Aumônerie catholique des prisons est d’assister les personnes incarcérées, surtout les « indéfendables », car elles font partie des exclus, même dans la prison. Ce concours à la réinsertion des coupables aide peut-être à éviter d’autres victimes pour demain, sachant que les coupables d’aujourd’hui ont souvent été des victimes d’hier qui n’ont pu être entendues.

Les victimes, elles aussi, ont besoin d’être accompagnées tout au long de leur épreuve. Une victime qui cesse de l’être, c’est une reconstruction aussi importante que la réin- sertion des condamnés.

Qui, aujourd’hui, dans la société, travaille à ces accompagnements ?

2. LA PRISON

Sanction de dernier recours, la prison doit rester une exception

Si la prison est nécessaire au fonctionnement de la société pour que «justice soit faite», elle ne doit plus se concevoir comme peine de référence, mais comme mesure de dernier recours. Dans les faits, comme dans son principe, la peine de prison n’est pas seulement la privation de la liberté, c’est un véritable « châtiment » infligé dont personne ne sort indemne. Il y a trop souvent une volonté de faire subir aux personnes détenues une souffrance sans proportion avec les motifs de leur incarcération. Si la peine est trop longue, elle devient même une épreuve de déshumanisation. L’amélioration des conditions de détention, certes urgente et nécessaire, n’y changerait pas grand-chose et ne saurait donc en aucun cas justifier cette sanction, sauf à la priver de son sens de « sanction d’ultime recours ».

Pour toute personne incarcérée, il est important de lier les deux exigences suivantes. D’une part, ne pas nier la responsabilité personnelle qui passe par la reconnaissance du délit ou du crime commis. D’autre part, ne pas réduire la personne à l’acte commis et lui permettre de se réadapter à une vie familiale, professionnelle, culturelle et sociale.

La prison doit rester une exception. Dans la majorité des cas, la semi-liberté et le placement sous surveillance électronique (PSE) suffisent à jouer le rôle attendu par la prison, tout en préservant les liens familiaux, sociaux et économiques dont la rupture nécessite ensuite un investissement énorme et mal mesuré pour les reconstruire. De plus, les peines dites «alternatives» comme les travaux d’intérêt général (TIG) permettent aux auteurs des infractions de réparer les torts causés aux victimes et à la société, ce que la prison rend souvent difficile, voire impossible.
Les placements en institution (hôpital, hôpital psychiatrique, association spécialisée dans le traitement des personnes ayant des problèmes psychologiques) doivent être privilégiés chaque fois que c’est nécessaire.
Nous rencontrons en prison trop de personnes qui pourraient ne pas y être, ne devraient pas y être.

L’attribution de libérations conditionnelles est de plus en plus frileuse. À vouloir supprimer tous les risques, on ne laisse aucune chance à celui qui est libéré, puisque lui-même ne peut être sûr de rien, tant est aléatoire le retour dans un monde qui a continué à vivre sans lui.

  • Quelle chance de réinsertion pour celui qui a perdu en prison le droit aux prestations  sociales dont il bénéficiait avant son incarcération ?
  • Quelle chance de réinsertion pour celui qui est interdit de séjour dans sa ville, son département ou sa région d’origine, là où il a tous ses liens ?
  • Quelle chance de réinsertion pour celui qui n’a jamais fini de payer et « traîne » son casier judiciaire comme un boulet parce qu’il reste aux yeux de la société quelqu’un de potentiellement dangereux ?
  • Quelles possibilités de réinsertion pour celui à qui son casier judiciaire interdit toute prétention à un emploi public ?
  • Quelle chance de réinsertion rend possible l’obligation de porter un bracelet électronique après la libération ?
  • Quelle chance de réinsertion pour celui qui va retrouver dehors le même contexte qui  l’a fait délinquant ?…
  • Finalement, quelle réinsertion pour la plupart des sortants de prison ?

3. L’AUMÔNERIE

La première conviction d’un aumônier rencontrant une personne détenue est que rien ne peut lui enlever sa dignité d’enfant de Dieu.

Le christianisme, qui prend sa source dans l’Évangile, se refuse à ne voir chez le coupable que sa faute. La faute n’est ni une fatalité ni le dernier mot de l’être. Quelle que soit sa culpabilité, tout homme reste capable du meilleur. Le christianisme affirme la rédemption du pécheur. À partir de là, nous affirmons que tout condamné a, comme chaque être humain, une dimension spirituelle unique qui lui donne vocation à participer de façon personnelle à sa réinsertion dans la communauté humaine.

Nous avons à dire aux personnes incarcérées qu’elles sont et restent enfants de Dieu, que le pardon leur est toujours offert, quoi qu’elles aient fait. Même si cela doit prendre beaucoup de temps, même si elles récidivaient un jour parce que leur vie est ainsi faite ou parce qu’elles n’auront pas reçu de possibilités réelles pour s’en sortir.
« Annoncer aux captifs qu’ils sont libres » (Luc 4,18), c’est dire que chacun peut, à tout moment, recommencer une nouvelle vie, au risque de n’être pas crédible tant c’est incroyable, invraisemblable.
Dire le pardon, l’impossible mais nécessaire pardon, là est notre contribution originale et essentielle à la réinsertion des personnes détenues. Être ou devenir chrétien en prison c’est déjà, pour certains, découvrir qu’un autre regard sur eux-mêmes est possible, le regard du pardon.

En se voulant disponible à tous, quel que soit le délit ou le crime reprochés, quel que soit le poids de la peine infligée par la société et le milieu carcéral, l’Aumônerie catholique essaie, avec d’autres, de témoigner qu’un homme vaut plus que les actes qu’il a commis. Rien ne peut lui enlever sa dignité de fils de Dieu.

Notre conviction fondamentale est que la peine n’est pas de l’ordre de la vengeance mais qu’elle peut être le travail qu’un homme fait sur lui-même pour retrouver sa vocation d’homme libre et responsable de ses actes. Notre tâche est de l’accompagner dans ce travail.

En accueillant chacun au point où il en est dans son histoire, les aumôniers proposent, lors de rencontres personnelles, une réflexion et une démarche de responsabilisation et de réconciliation avec soi et avec sa famille. Dans les activités de groupes et les célébrations, ils permettent aux participants de poursuivre ou de réapprendre un vivre ensemble aussi apaisé que possible.

La réinsertion de chacun nous concerne tous, pendant la détention puis à la sortie de prison. Nous devons dépasser l’obsession d’un réflexe d’abord sécuritaire. Que nous soyons chrétiens ou non, nous qui sommes au-dehors en liberté, nous avons aussi à  apprendre de l’expérience spirituelle des personnes détenues et de leur dignité dans l’épreuve. Nous avons à nous défaire d’un regard trop souvent captif de préjugés et de peur souvent haineuse. Les personnes détenues attendent d’être accueillies à leur retour à la vie sociale autrement que comme des délinquants qui le seraient encore. La vraie réinsertion suppose que le prisonnier libéré ne soit pas jugé pour ce qu’il a été,mais pour ce qu’il est au-delà de ses actes, pour ce qu’il est appelé à devenir. C’est la  condition première de toute réinsertion.

 Contact:
Aumônerie catholique des prisons
106, rue du Bac
75341 Paris cedex 07
tel:0154496997
e-mail: aum-prisons@cef.fr
site:http://prison.cef.fr