Qu’est-ce que la vocation ?

Mgr Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, nous aide à mieux comprendre ce que signifie le mot « vocation » dans les Écritures et la Tradition de l’Église.

Le mot français « vocation » vient du latin vocatio, lui-même issu de la forme verbale vocare, qui signifie appeler. Le terme a originellement un sens spécifiquement chrétien. Ce n’est que secondairement qu’il a pris un sens profane, très en vogue de nos jours (on parle par exemple de « vocation » pour un métier de médecin ou d’enseignant ou pour un engagement humanitaire, etc.).

Si le terme « vocation » n’a pas d’équivalent direct dans la Bible, ceux qui expriment un appel de Dieu sont nombreux et concernent, dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau, soit un appel collectif, soit un appel personnel. Retenons que, dans le texte biblique, il y a toujours un lien étroit entre élection, alliance et vocation. L’appel que désigne le mot « vocation » renvoie à Quelqu’un qui appelle et qui n’est autre que Dieu lui-même. À la différence des idoles qui « ont une bouche et ne parlent pas » (Ps 115, 5 ; Ba 6, 7), c’est par sa Parole interpellant l’homme, une Parole qui passe à la fois par des mots et par des actes, que Dieu se révèle à lui.

Dans la Bible, la Parole de Dieu n’est donc pas seulement un message intelligible adressé aux hommes ; elle est une réalité dynamique, une puissance qui opère, une lumière qui révèle. Dans la Tradition de l’Église, le concept théologique de « foi » désigne la réponse de l’homme à la « révélation » de Dieu. Puisque cette révélation, telle que la Bible la raconte et telle que nous en faisons l’expérience, se réalise à travers des appels bien précis, à la suite du premier appelé, Abraham, qui devint par sa réponse de foi le « père de tous les croyants » (Rm 4, 11), on peut dire que le discernement d’une « vocation » désigne théologiquement une modalité de l’acte de foi.

Pour comprendre comment il est possible de répondre à l’appel de Dieu, il faut donc réfléchir à la façon dont il est possible de poser un acte de foi, c’est-à-dire d’accueillir la Parole (Mc 4, 20), de l’écouter (Col 1, 5), de la garder (Lc 8, 15), et surtout de la mettre en pratique (Jc 1, 21). Au fil des siècles, la théologie chrétienne a longuement médité sur cette réalité insondable du dialogue entre Dieu et l’homme, entre la révélation et la foi, entre la grâce de Dieu qui appelle et la liberté de l’homme qui, parce qu’il a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1, 26), a reçu de Lui la capacité de répondre librement à cet appel. En lui donnant son souffle de vie (Gn 2, 7), Dieu a fait de l’homme son interlocuteur et se montre désireux de parler avec lui comme avec un ami.

« Une vocation constitue l’homme en interlocuteur du Dieu vivant. Elle prend la vie tout entière et l’unifie selon sa plus profonde unité, celle du dessein de Dieu sur elle. Elle la met en acte d’appel et de réponse, dans une relation de dialogue qui la ressaisit dès sa source et l’oriente vers sa fin. On ne peut répondre à une vocation qu’avec l’élan total de sa liberté et le don quotidien de sa vie, quelle que soit la forme que prend ce don ».
Marguerite Lena, « Un âge spirituel », Christus n° 258, avril 2018, p. 22.

Dans ce dialogue, la grâce, telle que nous l’enseigne la Tradition de l’Église, est toujours première. Elle sanctifie, prévient, guérit, élève, opère et surtout rend possible une coopération de l’homme avec le travail de l’Esprit Saint. À l’issue de la longue controverse pélagienne, le concile d’Orange, en 529, adoptait, sous l’impulsion de Césaire d’Arles, le canon suivant, indiquant une conception dynamique du rapport entre la grâce et la liberté : « Dieu nous aime non pas tels que nous font nos mérites, mais tels que nous deviendrons par sa grâce » (canon 12). Dans l’esprit de ce canon du concile d’Orange, considérons donc ce que l’on appelle « vocation » de façon non pas statique mais dynamique, la comprenant comme une réalité « qui prend la vie tout entière et l’unifie selon sa plus profonde unité, celle du dessein de Dieu sur elle », selon les mots de Marguerite Léna cités plus haut.

Une vocation, c’est quelque chose qui mûrit au fur et à mesure que se déroule notre existence, quelque chose qu’on ne comprendra vraiment qu’à la fin, quand nous relirons toute notre vie avec Dieu et qu’il nous expliquera lui-même tout ce que nous n’avions pas compris en chemin (cf. Jésus disant plusieurs fois à Pierre dans l’évangile de Jean : « tu comprendras plus tard », « tu me suivras plus tard », etc). Ma vocation, c’est la cohérence que prendra ma vie quand je la regarderai à la fin, en plongeant mon regard dans celui du Père.

« Toi aussi, tu as besoin de percevoir la totalité de ta vie comme une mission. […] Puisses-tu reconnaître quelle est cette parole, ce message de Jésus que Dieu veut délivrer aux hommes par ta vie ! Laisse-toi transformer, laisse-toi renouveler par l’Esprit pour que cela soit possible, et qu’ainsi ta belle mission ne soit pas compromise. Le Seigneur l’accomplira même au milieu de tes erreurs et de tes mauvaises passes, pourvu que tu n’abandonnes pas le chemin de l’amour et que tu sois toujours ouvert à son action surnaturelle qui purifie et illumine ».
Pape François,Gaudete et exsultate, n° 23-24.

Pour découvrir peu à peu quelle est notre vocation, il convient de tenir compte de plusieurs choses : d’abord, de toutes ces choses que nous n’avons pas choisies mais qui nous ont fait pour une part ce que l’on est devenu, ce qu’on appelle parfois un destin (notre naissance, le contexte dans lequel s’est déroulée notre enfance, les événements de l’histoire qui ont influé sur notre existence, etc) ; ensuite, des appels que nous percevons, des attraits que nous éprouvons, des impulsions intérieures de charité qui nous poussent à nous engager, à agir (l’un sera plus attentif aux pauvres, l’autre aux personnes malades, un autre à l’injustice), au nom de la Promesse de Dieu qui veut donner à son peuple « un avenir et une espérance » (Jr 29, 11). Tisser les fils du destin avec ceux de la Promesse c’est, au jour le jour, le patient labeur d’une vocation, le subtil et passionnant accord de la grâce et de la liberté. C’est la raison pour laquelle la vocation est sans cesse en nous en travail d’enfantement. En rigueur de termes, on n’a pas une vocation, comme si c’était quelque chose de statique et défini une fois pour toutes. On n’a pas une vocation, mais on donne forme chaque jour à notre réponse à un appel qu’on a perçu et que l’on transforme en réalité concrète par un choix cohérent qui peut être solennellement exprimé de façon liturgique (sacrement du mariage, ordination, vœux, etc.), mais qui est à traduire de multiples fois au fil de notre existence. Des « grands choix », on n’en pose pas beaucoup dans une vie. Mais il faut poser une foule de « petits choix » dans la cohérence de nos grands choix et dans une disponibilité non anesthésiée aux mille questions qui surgissent au fil de notre existence. Il s’agit de répondre à un appel, avec courage et humilité, c’est-à-dire, d’une part, sans renier notre passé, sous prétexte que l’on se serait converti et que ce qui était avant ne compte pas et, d’autre part, sans rogner notre avenir, sous prétexte que la barre nous semble placée trop haut et qu’on préfère se contenter de la médiocrité. Il s’agit plutôt d’essayer humblement de tisser les fils du destin avec ceux de la Promesse et d’apprendre à faire de l’éternel avec notre quotidien ! « Dieu a mille ans pour faire un jour, mais je n’ai qu’un seul jour pour faire de l’éternel, et c’est aujourd’hui ! », disait Christian de Chergé.

Mgr Jean-Marc Aveline
Archevêque de Marseille

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