« Pour que vive le livre » déclaration de Mgr Bernard Ginoux

Mgr Bernard GINOUXÀ L’OCCASION DU SALON DU LIVRE 2017, DÉCLARATION DE L’INSTANCE LIVRE

Tandis que s’ouvre le 37ème Salon du Livre qui va rassembler exposants et auteurs, professionnels du livre,  l’Église Catholique concernée par le livre comme par tous les moyens de communication réfléchit et porte le souci de ce domaine de la culture. Au sein de la Conférence épiscopale,  une « instance livre » réunit des représentants des éditeurs et des libraires plus spécialisés dans le livre religieux que j’ai l’honneur de présider.  Le Salon du Livre est pour nous l’occasion d’exprimer notre point de vue et d’apporter notre soutien à ce produit culturel unique, le livre papier, et à tous ceux qui en font profession.

La situation du livre aujourd’hui : surmonter la crise

Il est manifeste que l’attachement au livre demeure, même si cette réalité prend bien des formes et, avec le livre numérique, connaît un changement qui donne du livre une approche nouvelle. Le contexte économique, les difficultés de certaines maisons d’éditions et de librairies, l’abondance des productions, le moindre temps consacré à la lecture par la jeune génération semblent, en revanche, souligner une crise durable. Dans le même temps la civilisation de l’écran va devenir omniprésente et beaucoup de nos contemporains sont sans cesse rivés à ce moyen de communication. Pour autant, le livre reste à ce jour la première des industries culturelles en France tout en disposant d’un fort rayonnement à l’international. Il faut  noter que 85% des Français se déclarent « lecteurs de livres ». Il est donc difficile de ne voir qu’une situation de crise lorsqu’on parle du livre. Le salon du livre lui-même en est un exemple puisqu’il attire toujours beaucoup de monde et, en proportion, plus de visiteurs que le salon de l’auto ou de l’agriculture. Il est sûr que les ressources et compétences ne manquent pas pour affronter les défis qui se présentent.

Le livre : outil de mission

En fait il n’est pas nécessaire d’attendre 1451 et le premier livre imprimé par Gutenberg pour parler du livre. Dès les premières tablettes le concept était déjà là, puis vinrent les papyrus, plus tard, à Rome, on invente le codex qui relie ensemble des pages manuscrites. Ce sera le moyen par lequel les écrits chrétiens se répandront. Peu à peu le livre devient un produit courant, accessible et même populaire avec le XXème siècle. A la fin du siècle,  apparaît sur le marché le livre numérique. Cette évolution donne un nouveau statut au livre qui n’est plus un produit rare, entouré de soins, qu’on ne détruit pas et qui peut être objet de collection. Que pouvons-nous alors dire au regard de la culture et, particulièrement, de la culture chrétienne ? Évidemment nous avons un livre par excellence, la Bible mais, au-delà, le livre reste cet élément de la transmission qui pérennise un savoir, une fiction, une forme de communication durable, qui permet l’arrêt, le retour en arrière et requiert l’autonomie du discernement.

Il est l’instrument par excellence de la formation de la personne, de sa rationalité et de son imaginaire. Il y a dans l’acte de lecture la participation volontaire, consciente et réfléchie du lecteur qui rencontre l’auteur d’une pensée, le créateur d’un paysage, le façonneur d’une intrigue.  C’est pourquoi, le livre est plus vivant que l’image, il est « présent » parce qu’il prend vie par le lecteur et s’actualise par lui. L’image, elle, s’impose par son immédiateté et ne permet pas le recul, la distance nécessaire pour porter un jugement. Elle s’impose alors que le livre s’ouvre à l’imaginaire, à la construction avec l’auteur, en fait un acteur.

Le livre au centre de l’éducation

La question, vient, en effet, dès qu’on s’interroge sur la place du livre dans l’éducation, la pédagogie, l’instruction donnée aux enfants et aux jeunes et dans les  outils par lesquels se forme leur savoir. Si beaucoup déplorent que nos contemporains délaissent l’écrit, nous devrions commencer par le remettre au centre du processus éducatif. L’école doit apprendre à penser, à faire découvrir un héritage qui se reçoit humblement et non pas à construire un monde virtuel né d’un clic informatique qui s’évanouit avec un autre clic. Il n’est pas équivalent de lire Racine sur une tablette interactive avec un  fond de musique et d’images ou dans une édition papier annotée qui fait du texte un ensemble unique. Comme Régis Debray l’a montré (cf. ses approches « médiologiques »), le message qui est édicté n’est pas indifférent au médium qui le véhicule. Le livre est au cœur de ce que l’école doit transmettre car il est le môle d’une civilisation qui précède l’enfant et qui va le dépasser. Par la lecture, l’enfant s’inscrit dans une société à la fois héritière et créatrice. Là aussi et surtout, il s’agit de promouvoir une politique éducative qui forme la personne humaine à une culture intégrale. Le livre en est l’outil indispensable.

Un appel à prendre soin du livre

C’est là un trésor culturel qui demande que la société en prenne soin et que l’État apporte aux professionnels de cette branche une attention particulière. Négliger cette expression de notre génie nuirait gravement à l’identité de notre pays qui se tient d’abord dans sa langue. Toutes raisons pour lesquelles il paraît indispensable que les candidats à la présidence de la République définissent leur position sur ce sujet et précisent les moyens qu’ils entendent accorder à une politique culturelle favorable au livre, à commencer par sa valorisation dans l’acte éducatif.

Le 22 mars 2017

Mgr Bernard Ginoux,
Évêque de Montauban,
Président de l’Instance livre du Conseil pour la communication de la Conférence des évêques de France