« Souvenons-nous ! » par Mgr Sankalé

Discours de Mgr Louis Sankalé, évêque de Nice lors de sa première visite à la grande synagogue de Nice, le 8 janvier 2012.
 

Certains événements semblent inscrits dans la mémoire avant même qu’ils n’adviennent. Comme si l’Histoire nous y donnait rendez-vous. Comme si l’espérance de les vivre un jour nous les avait, de quelque manière, déjà rendus présents.
Au nom de l’ensemble de mes diocésains et en mon nom personnel, j’exprime la joie et la reconnaissance qui sont les nôtres pour avoir été conviés aujourd’hui à vivre un événement de cette nature. En franchissant le seuil de ce Haut-lieu, comment ne pas être saisi par une émotion où se mêlent le caractère unique – parce que premier – de l’occurrence qui nous est offerte, et l’étrange impression de répondre à une attente qui, en nous y préparant, nous en avait déjà rendus contemporains, et comme témoins ? Notre rencontre de ce soir prend place parmi les dates qui tissent la mémoire.

Souvenons-nous !
L’attitude de l’Église catholique durant la Seconde guerre mondiale – ici comme ailleurs et pour d’autres institutions – a été ambigüe face à l’entreprise nazie d’extermination du Peuple juif. Monseigneur Paul Rémond (compagnon de combat, en 1914-1918, du Maréchal Pétain) était « vichyste ». Il n’hésita pourtant pas devant son devoir chrétien. A travers le « réseau Marcel », des centaines d’enfants juifs furent sauvés : il compte parmi les Justes. Dans le même temps, des prêtres gaullistes s’engagèrent dans la Résistance. Bien qu’en désaccord, Monseigneur Rémond « laissa faire ». Ce réseau cacha, exfiltra de nombreux Juifs. Sa figure principale en fut Mgr Daumas, Juste lui aussi, et Mgr d’Oreye en fit partie. Rendant visite en Europe centrale, après-guerre, à ceux qu’il contribua à sauver, il reçu en reconnaissance ce Rouleau du Livre d’Esther qu’au nom de tous les catholiques, je viens de faire don à tous les Juifs.
Retenons de l’Histoire que, dans les moments de nuits et de brouillards, la conscience et l’action éclairées d’hommes et de femmes sauvèrent ainsi l’honneur de l’humanité.

Souvenons-nous !
Nous fêterons cette année le 50ème anniversaire du Concile Vatican II. Précédé par la rencontre de Jean XXIII avec Jules Isaac le 13 juin 1960, et par les patients contacts entre le Cardinal Béa et Congrès Juif Mondial, il mis fin à « l’enseignement du mépris » et affirma le statut unique du Judaïsme comme seule religion intrinsèque à la définition du christianisme. Martelant la doctrine conciliaire, le Pape Jean-Paul II, le 6 mars 1982, déclara ainsi que L’Église et le peuple juif, sont « liés au niveau même de leur propre identité ».
Retenons de l’Histoire que le changement des institutions est possible, lorsque fondé sur un patient travail d’hommes en dialogue, cherchant la vérité.

Souvenons-nous !
Il y a quelques années, la réception et la visite d’un Évêque de Nice en cette Grande Synagogue eussent été malvenues. Parce qu’éminemment symbolique, la manifestation qui nous rassemble aujourd’hui se devait de signifier une réalité. Or, voici plus de quinze ans que mes prédécesseurs et moi-même avons investi des forces dans le dialogue interreligieux. Mais rien n’aurait été possible à nos Services diocésains conduits par le chanoine Philippe Asso si, en vis-à-vis, ils n’avaient pas rencontré des partenaires tout aussi déterminés. Je tiens à saluer Madame Martine Ouaknine, alors Présidente du Crif ; ses prédécesseurs, désormais en charge du Consistoire ; son successeur, Monsieur Alain Belhassen ; les responsables des Institutions juives et, enfin, les Rabbins de toutes obédiences, en particulier le Rabbin Joseph Abittan interlocuteur fidèle de la première heure. C’est ainsi que nous réalisâmes beaucoup : déclarations communes, événements de réflexion et d’action réalisés main dans la main.
Retenons de l’Histoire qu’elle est lente. La concrétisation d’objectifs déclarés repose d’abord, en effet, sur la relation humaine d’acteurs qui, apprenant à se connaître, se font dès lors confiance.

Souvenons-nous, enfin !
En évoquant les Justes parmi les Nations et le Livre d’Esther, nous avons implicitement fait mémoire de périodes où – à l’instar du projet génocidaire de Pharaon et de l’Exode libérateur conduit par Moïse – le Peuple juif fut menacé dans son existence même et pourtant sauvé.
Retenons de l’Histoire que le Maître de l’Histoire en semble absent (comme Son Nom est absent du livre d’Esther) parce que, respectueux de la liberté humaine et se réservant le dernier Mot, Il parle et agit par des hommes au cours des siècles.
Aussi, « La tradition juive et chrétienne, fondée sur la Parole de Dieu, est consciente de la valeur de la personne humaine, image de Dieu. L’amour d’un même Dieu doit se traduire dans une action effective en faveur des hommes. »
Oui ! Relue à la lumière de la Révélation, l’Histoire montre qu’elle peut être changée.
Oui, les différends entres les religions peuvent devenir différence mutuellement respectée.
Oui ! Croyants ou non, agissant avec d’autres, chacun peut contribuer à transformer ce monde.

« Espérant contre toute espérance », chaque être peut prendre sa part de l’impérieux et interminable labeur qui, jour après jour, fait droit à la Vie, à la Justice, à la Fraternité.

+ Louis Sankalé
Évêque de Nice
 

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