« La fraternité à tout prix », par le Père Roucou

Dialogue chrétiens et musulmans

Depuis un an maintenant, en France, on voudrait nous faire croire que le débat sur le port du voile intégral est le principal souci de la société française. A propos de ce débat qui nous conduira, avec le projet de loi jusqu’à la mi-septembre – fin du Ramadan -, nous avons envie de dire : «Assez » ou « trop, c’est trop ». Tout se passe comme si la crise économique, l’avenir des retraites, la situation extrêmement tendue dans les banlieues, passaient au second plan.

Je fais miens ces propos de Jean Picq, professeur à Sciences-Po Paris : « Il y a ces burqas que nous voulons interdire au nom des principes républicains… il y aussi cet immense voile que nous jetons sur les cités de banlieues alors qu’elles font partie de la grande Cité que nous appelons la République. (…) Rejeter ou exclure conduit toujours au pire. (…) La peur nourrie par la violence des images et des paroles entretient les passions, incite à ignorer la blessure. Mais une blessure qui n’est pas soignée, peut, si elle devient trop vive, enflammer le corps entier. C’est donc au corps tout entier d’en prendre soin. » (« La Croix », 4 mai 2010) Comment prenons-nous soin aujourd’hui de nos concitoyens et particulièrement de ceux ou celles pour qui l’avenir semble très dur, quelle que soit leur religion ou leur origine sociale ?

Depuis des mois, certains medias ou certains politiques ne cherchent qu’à attiser la peur chez nos concitoyens, et parmi eux nous constatons que des catholiques sont touchés. Mais dans quel but ? Pour parvenir à quels résultats quant au vivre ensemble dans notre société ? La sagesse des magistrats ou des responsables religieux est mise de côté, mais les caméras et les micros se tendent vers les représentants de courants fondamentalistes pour des tribunes inespérées.

Heureusement, en ce mois de mai, une lueur d’espérance est venue du film de Xavier Beauvois présenté au Festival de Cannes : « Des hommes et des dieux ». En portant à l’écran l’histoire de nos frères cisterciens de Tibhirine, le choix qu’ils ont fait de rester partager la vie du peuple algérien durant «les années noires », ce film, dont tous reconnaissent la force et la beauté, rend actuel le message des frères, ce pour quoi ils avaient engagé leur vie en Algérie et l’ont finalement donnée : l’amour pour Dieu et pour le peuple algérien.

En mars 1997, un an après leur enlèvement, Bruno Chenu écrivait dans l’éditorial de « La Croix » : « Les moines de Notre-Dame de l’Atlas avaient fait alliance avec l’Algérie. Leur sang versé scelle une alliance que rien désormais ne pourra briser. Personne n’est en mesure d’effacer cette trace de pur amour qui s’est vécue sur les contreforts de l’Atlas. Ils ont contré la logique de mort qui les assaillait en considérant tout homme comme un frère. Alors, oui, leur existence est un appel. Car leurs corps martyrisés dessinent en lettres de sang la seule perspective qui donne un avenir à notre humanité : celle d’une société qui se construit pas à pas, jour après jour dans le respect mutuel, la recherche de la fraternité, la volonté de paix et la pratique du pardon.»

Les moines ont été assassinés car ils se voulaient proches des « frères de la montagne » comme des « frères de la plaine », selon les expressions de Christian de Chergé, leur prieur. Aujourd’hui, dans le contexte français, qui seront les hommes et les femmes qui, à cause de leur foi en Dieu, refuseront les impasses dans lesquelles certains veulent nous enfermer et qui oseront poser des gestes de fraternité avec tous « les frères du chemin » ?
L’esprit de Tibhirine est remis entre nos mains ; chrétiens ou musulmans, il dépend de nous qu’il marque nos concitoyens pas seulement sur les écrans mais d’abord dans les relations individuelles et sociales de tous les jours.

Christophe Roucou
Directeur du service pour les relations avec l’Islam
Mai 2010
 

Edito de la lettre n° 103 du SRI (Service national pour les relations avec l’Islam) par le père Christophe Roucou, Juin 2010