« Un combat pour aimer son prochain », par Mgr Bonfils

Mgr Jean Bonfils

Frères et Sœurs de l’Eglise Catholique en Corse

Nous entrons en Carême et je n’hésite pas à dire qu’il nous faut nous mettre en tenue de combat. La liturgie parle en effet de l’entraînement du Carême. En Jésus-Christ, ce combat est arrivé à terme puisqu’il en est sorti définitivement vainqueur par sa résurrection. Il a vaincu la mort, le péché et l’auteur primordial de l’un et de l’autre, le Démon menteur et homicide dès les origines et d’où viennent avec notre complicité tous les mensonges et homicides d’ici-bas. Ce combat est à mener dans le Christ et avec Lui d’abord.

Un cadeau à offrir

Mais en même temps je vous propose de l’engager comme un cadeau à offrir à l’évêque qui va vous être donné. C’est donc un combat à mener dans l’allégresse qui remplit le cœur de qui prépare un cadeau pour celui ou celle qu’il attend et qu’il aime. La première mission de l’évêque est de conduire son peuple vers la sainteté, c’est-à-dire vers le maximum d’amour de Dieu et du prochain. C’est ainsi qu’il évangélise en enseignant, en célébrant les sacrements, spécialement l’eucharistie, et en gouvernant son peuple comme le Bon Pasteur conduisant son troupeau.

Un combat pour aimer son prochain

C’est pourquoi le combat à mener ici en Corse pendant ce Carême sera celui de la charité envers le prochain. C’est un combat, car les obstacles à l’épanouissement de la charité que nous avons reçue au baptême encombrent nos cœurs. « Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères », dit St. Jean (I Jn.3,14). Oui, mais à condition que « nous n’aimions ni de mots ni de langue, mais en acte et en vérité » (id.3,18). Car « celui qui aime son frère demeure dans la lumière et il n’y a en lui aucune occasion de chute » (id.2,10). Or, nous avons besoin de la lumière pour marcher, sans lumière nous ne savons pas où nous allons. L’amour pour notre prochain est le critère de vérité de notre amour pour Dieu, « celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne saurait aimer Dieu qu’il ne voit pas » (id.4,20).

Le premier de tous les jeûnes

L’entraînement du Carême comporte le jeûne et le premier de tous les jeûnes est de faire sauter tous les obstacles qui s’opposent à l’amour du prochain. Lisez le chapitre 58 du Livre du prophète Isaïe qu’il faudrait citer ici en entier. Vous y entendrez les interpellations vigoureuses qui mettent en question un certain nombre de nos pratiques néfastes et mortifères. Mettez-vous à plusieurs et partagez les réactions qu’éveillera en vous la lecture de cette Parole de Dieu. Faites de même avec le chapitre 18 de l’Evangile de St. Matthieu.
Dans certaines éditions il porte ce titre : « Discours sur la vie dans l’Eglise ». Oui, c’est d’abord dans l’Eglise et en Eglise que nous avons à apprendre à nous aimer, entre prêtres d’abord – les fidèles attendent ce témoignage – , entre prêtres, diacres et laïcs, entre chrétiens tout simplement. Sans cela, nous n’évangéliserons pas, même si nous exécutions à la lettre toutes les orientations et directives du Projet pastoral diocésain. Il faut d’abord nous aimer entre nous, et que cela se voie. Dans ce chapitre de St. Matthieu, nous apprendrons des lèvres mêmes de Jésus ceci :

Celui qui se fait petit est le plus grand dans le Royaume des cieux, v 4.
Celui qui scandalise un enfant en l’amenant d’une façon ou d’une autre à pécher mérite d’être englouti en pleine mer, une meule autour du cou, v.6.
Celui qui cultive en lui ou autour de lui des occasions de pécher, ferait bien de s’en débarrasser, même s’il doit y perdre une partie de lui-même, v. 8-10.
Celui qui remarque que son frère a péché doit aller le trouver et le reprendre seul à seul, avant d’aller s’en plaindre à son curé ou à son évêque, V.15. Il en est de même du fidèle qui s’adresserait d’abord à son évêque pour se plaindre de son curé. C’est en effet trop facile de se dispenser de cet effort de simplicité et d’humilité en se dégageant de la responsabilité qui incombe à chacun
Celui qui est prêt à pardonner sept fois est invité par Jésus à le faire soixante dix sept fois, v.22.
Celui qui ne pardonne pas à son frère du fond de son cœur comme le Seigneur le fait pour lui-même, mérite une punition exemplaire qu’il sera incapable de supporter, v. 34-35.
La meilleure manière de se réconcilier est de se mettre ensemble à prier, car là où deux ou trois sont réunis au nom du Seigneur, il est là au milieu d’eux, v. 20.
La langue, pour louer Dieu, bénir notre frère ou le tuer

J’ajoute comme Parole de Dieu pour ce Carême le chapitre 3 de la Lettre de St. Jacques « contre l’intempérance du langage ».
D’abord, dans le monde méditerranéen, nous parlons trop. Parfois pour endormir ceux qui nous écoutent, parfois pour les fâcher, parfois pour ne rien dire, parfois pour amuser. Comme nos accents, ceux du Roussillon, du Languedoc, de la Provence ou de la Corse, plus ou moins chantants ou rocailleux, permettent aux touristes du nord de la Loire de plaisanter aimablement sur notre dos, on peut considérer qu’avec le chant des cigales cela fait un joli concert qui détend l’ambiance plus ou moins morose. Très bien ! Mais quand on parle trop, on court le risque de parler mal. Et voilà que des rumeurs se colportent sur la place du, marché, au téléphone ou sur internet. C’est ainsi que se constituent des sortes de tribunaux populaires qui n’existent normalement que dans des pays totalitaires mais nullement dans des démocraties de droit ni a fortiori dans l’Eglise. En recevant la Parole de Dieu par la Lettre de St. Jacques, vous entendrez que « la langue est un fléau sans repos », qu’elle est « pleine d’un venin mortel ». On ne tue pas qu’à coup de révolver, on peut tuer aussi avec sa langue. « Par la langue nous bénissons le Seigneur et Père et, par elle, nous maudissons les hommes faits à l’image de Dieu ». Frères et Sœurs, pendant ce Carême, faisons jeûner notre langue. Servez-vous en pour chanter la gloire de Dieu et proclamer le bonheur promis aux hommes par l’Evangile de Jésus. Dites du bien les uns des autres et aux uns et aux autres. Nous avons aussi pendant le Carême beaucoup d’autres lieux et moyens pour jeûner : la table, pour partager avec ceux qui ont faim, l’alcool, le tabac, le portable, souvent utilisé pour se raconter des banalités, internet…etc. Mais le jeûne de la langue contribuerait beaucoup à favoriser des démarches de réconciliation dans l’Eglise, dans nos familles et dans la société.

Prendre du temps pour prier

Alors, courage ! Entrons en Carême avec l’enthousiasme de tous ceux et celles qui, dans l’Evangile, ont accepté d’être enseignés par le Christ et de la suivre. L’apôtre St. Jean que j’ai souvent cité au long de cette lettre a magnifiquement écrit sur la charité. Il avait reposé sa tête sur la poitrine du Christ pour y entendre battre le Cœur qui a tant aimé les hommes. Pendant ce Carême, prenons le temps de prier longuement, de nous reposer en quelque sorte sur le Cœur de Jésus pour atteindre la source de l’amour et disposer nos propres cœurs à s’ouvrir au pardon mutuel et à l’amour du prochain. Et que la grâce de Jésus Notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père et la communion de l’Esprit Saint soient toujours avec vous.

+ Jean BONFILS,
Évêque émérite de Nice
Administrateur Apostolique d’Ajaccio

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