« Que grandisse en nous l’Homme Nouveau ! » par Mgr Grua

Grua Bruno - Saint-Flour

Que grandisse en nous l’Homme Nouveau !

Voilà, chers amis, que nous entrons à nouveau dans le temps du Carême. Peut-être, si nous prenons notre vie spirituelle un tant soit peu au sérieux, ne le voyons-nous pas venir volontiers ! Il nous remet face à un aspect de nous-mêmes que nous préfèrerions oublier : les larmes et le deuil pour reprendre les mots du prophète Joël, le pêché et la réconciliation pour reprendre ceux de l’Apôtre Paul. Il nous fait réentendre l’appel à la conversion dans l’aumône, la prière et le jeûne. Il va falloir sortir de notre train-train, de notre confort, de notre insouciance pour reprendre avec une ardeur nouvelle le combat spirituel.

Nous savons bien que ces quarante jours nous préparent à la grande fête de la Résurrection, celle du Christ, la nôtre et que déjà, par la prière, l’aumône et le jeûne ils nous font participer à la vie dans l’Esprit du Ressuscité. Pâques n’est pas simplement au terme de ces quarante jours comme le sommet est au bout de la marche. La Résurrection est déjà à l’œuvre dans nos vies lorsque nous apprenons, par le jeûne, la prière et l’aumône, à renoncer à nous-mêmes et au vieil homme pour accueillir l’homme nouveau. Notre marche vers Pâques est déjà en nous l’oeuvre du Ressuscité.

Libérer en nous ces énergies spirituelles demande pourtant des efforts et implique des choix. Toutes les sagesses spirituelles le savent et proposent à leurs fidèles des formes d’ascèse. Ascèse du corps rythmant l’alimentation, le travail, le sommeil. Ascèse qui favorise la méditation, la prière. La vie monastique l’enseigne depuis toujours. On retrouve aujourd’hui l’importance de ces pratiques corporelles. Pensons, par exemple, aux témoignages entendus de ceux qui, chrétiens ou non, ont pris le chemin de Compostelle. Tous disent comment la marche, son rythme, son silence, ses souffrances aussi, permettent de se retrouver face à soi-même, d’entendre les questions les plus essentielles de l’existence humaine, la voix de sa conscience et, pour le croyant, celle de Dieu. L’ascèse prend bien des formes mais, d’une manière ou d’une autre, elle passe toujours par ces trois grands piliers que nous rappelle aujourd’hui le Christ dans l’Evangile : le jeûne, la prière et l’aumône. Les grandes spiritualités ont ce patrimoine en commun.

Il est arrivé qu’en contexte chrétien cette ascèse soit mise en avant, exaltée au point de représenter l’essentiel de la croissance spirituelle. On l’a associée à la suspicion ou au mépris du corps. Et comme toujours, en réaction aux excès, on l’a ensuite rejetée et accusée. On lui a reproché de cacher sous des motivations religieuses une forme de masochisme, de ressentiment haineux contre soi-même et contre les autres. On a pu lui reprocher aussi d’être volontariste et orgueilleuse dans son effort pour bâtir, en face de Dieu, un homme maitre de lui-même, de ses passions, fier de maitriser ce qu’il y a en lui de plus trouble et de plus fragile. On lui a reproché d’exalter la souffrance comme si c’était la souffrance qui était rédemptrice et non pas l’amour qui s’exprime jusqu’en elle. Tout cela peut être vrai et doit nous rendre vigilants sur le sens que nous donnons à l’ascèse dans notre vie spirituelle. Il n’en reste pas moins vrai qu’il n’y a pas de vie spirituelle sérieuse sans cet effort sur soi-même et c’est ce que le Carême, dans la vie chrétienne vient nous rappeler.

L’ascèse, je l’ai déjà un peu dit, est un véritable chemin d’humanisation qui peut nous pacifier, nous unifier, harmoniser nos désirs. Mais, dans une perspective chrétienne, il y a plus encore. L’ascèse nous ouvre à l’accueil de l’Esprit, l’Esprit du Ressuscité. Elle nous libère de nos pesanteurs, elle nous transfigure, elle construit en nous l’homme de la Résurrection. C’est là sa place dans notre vie chrétienne. Elle n’est pas seulement à penser au seul plan de l’efficacité humaine. Les efforts et les renoncements qu’elle demande prennent tout leur sens quand ils font grandir en nous l’Homme Nouveau appelé, avec le Christ à la résurrection et à la vie éternelle. C’est bien pour cela qu’elle se vit autour d’une prière plus forte encore en ce temps de Carême.

C’est seulement de cette manière que nous pouvons entendre, dans l’Evangile, les paroles du Christ nous invitant au renoncement, à la mort à soi-même, à perdre sa vie, à porter sa croix. Ce vieil homme, nous le mettons à mort, avec ses convoitises, pour que naisse en nous l’homme nouveau. Nous mourrons avec le Christ pour ressusciter en lui.

Voilà, frères et sœurs, ce temps du Carême dans lequel nous entrons. Nous allons recevoir les cendres. Elles sont signes de mort. Elles sont appel à la conversion pour une naissance à une vie nouvelle. Chacun de nous en fonction de ce qu’il est, de sa situation concrète, de son rythme de vie peut décider de la manière dont il va mettre en œuvre cet appel entendu à entrer dans le chemin de vie par le jeûne, la prière et l’aumône. Prenons le temps ce soir, dans les jours qui viennent, d’entendre cet appel, de contempler le Christ qui lui-même emprunte ce chemin.

Ne nous laissons pas bercer par les mots.
Traduisons-les dans des actes concrets.
Avec le Christ choisissons la vie !

Mgr Bruno Grua
 

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