Homélie du dimanche 13 septembre

En parlant de sa Passion et de sa Résurrection à saint Pierre qui lui répond : «Tu es le Messie », Jésus ne fait que dire qu’il est bien le « serviteur souffrant » dont parle le prophète Isaïe, celui dont David parlait aussi dans le psaume 22 (21). Il rappelle à ses apôtres la dimension réelle qui est la sienne selon la révélation biblique.

D’une certaine manière, en refusant que Jésus souffre, qu’il soit mis à mort et ressuscite, les apôtres ne posent pas leur acte de foi dans la plénitude de l’être de Jésus. La réponse de leur maître peut leur paraître dure, mais elle signifie qu’ils ne peuvent alors le suivre, car, pour le suivre, il faut prendre cette croix.

UN DANGER GRANDISSANT

Les occasions d’étonnement et d’affrontement ne manquaient pas depuis le début de la prédication, en Galilée comme en Judée.

Les affrontements.

– Jésus a-t-il le pouvoir de pardonner les péchés ? (Marc 2. 7) et de quel droit s’arroge-t-il ce privilège réservé à Dieu ?
– Pourquoi Jésus mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? (Marc 2. 16) Pourquoi donc préfère-t-il pactiser avec des gens impurs ?
– Pourquoi les disciples de Jésus ne jeûnent-ils pas ? (Marc 2.18) et pourquoi accepte-t-il qu’ils se mettent ainsi hors de pratiques demandées par la Loi ?
– Pourquoi Jésus laisse-t-il ses disciples arracher des épis de blé le jour du sabbat ? (Marc 2.24) et pourquoi lui-même opère-t-il des guérisons ce jour-là, comme s’il n’y avait pas d’autres jours dans la semaine ? Pourquoi donc ce refus d’observer la Loi de Moïse ?
– Jésus ne serait-il pas possédé lui-même par le prince des démons ? (Marc 3. 22) et pourquoi accuse-t-il ses contradicteurs d’être coupables du péché contre l’Esprit ? (Marc 3. 29)

Vers une issue plus radicale.

Dans le cœur des disciples dort la même incompréhension et la même réaction, comme nous le voyons dans les paroles de Pierre à l’annonce de la Passion. Il fait des reproches à Jésus. Mais il ne veut pas les faire devant la foule. Or aujourd’hui, Jésus appellera cette foule à entendre cette annonce.

Les disciples ne se dressent pas contre Jésus, ne le contredisent pas. Ils refusent une telle issue au ministère de leur Maître qui passe en faisant le bien, malgré l’opposition qu’il rencontre. Saint Pierre reproche.

Les contradicteurs qui, pour certains, deviendront progressivement ses adversaires, se trouvent surtout parmi les scribes et les pharisiens. Ils sont parfois dénommés aussi « les scribes du parti des pharisiens. » Quand Jésus a guéri un homme le jour du sabbat, l’évangéliste note : « Alors les scribes et les pharisiens sortirent et aussitôt ils tenaient conseil avec les Hérodiens contre lui, en vue de le perdre. » (Marc 3. 6)

Les tenants du religieux strict n’hésitent pas à rejoindre les politiques. C’est une démarche significative. Les apôtres ont vu Hérode mettre à exécution une demande de mort (Marc 6. 16 et ss). Sur son ordre, Jean-Baptiste a été décapité. Il contredisait le pouvoir établi. Après avoir été emprisonné, il est éliminé à cause de la méchanceté d’Hérodiade. Par le simple développement de son action et de la contradiction qu’elle suscite, Jésus peut s’attendre à une issue mortelle similaire.

LES DISCIPLES SONT CONCERNES

Trois annonces rythment maintenant les chapitres 8 à 10 de l’Evangile de saint Marc. Elles sont précédées de la profession de foi de Pierre en Jésus comme Christ-Messie. Elles se concluent par le refus du jeune homme riche et par la profession de foi de l’aveugle de Jéricho. « Tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais obtiendra la vie éternelle. »

Des annonces précises.

Après l’annonce qui suit la profession de foi de Pierre, Jésus indique à celui-ci, aux disciples et à la foule que cette voie ne sera pas seulement la sienne, mais celle de tout homme qui veut le suivre. (Marc 8. 34) « Celui perdra sa vie pour moi et pour l’Evangile, la sauvera. »

Nul homme ne peut se sauver sans renoncement, car ce renoncement n’est pas stérile. Le centuple lui est promis et la vie éternelle. (Marc 9. 42) Nous-mêmes, combien de fois, ne cherchons-nous pas à éviter ces renoncements que la fidélité au Christ nous demande. Il nous arrive de penser que le Seigneur n’en demande pas autant…

Cette incompréhension est celle de Jacques et de Jean quand ils demandent, par l’intermédiaire de leur mère, des places dans la gloire (Marc 10. 35). La réponse de Jésus ressemble fort à celle qu’il a faite lors de la deuxième annonce de sa Passion. Elle est même plus forte encore : « Celui qui voudra être le plus grand doit se faire le serviteur (« diaconos ») et celui qui voudra être le premier, se fera l’esclave de tous (« doulos »). Aussi bien, le Fils de l’Homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir (« diaconèsaï ») et pour donner sa vie en rançon pour la multitude. »

La Résurrection et la Vie.

Les annonces de Jésus ne sont pas des éclaires isolés dans un ciel serein. Elles s’inscrivent dans la progression du salut que Jésus est en train d’annoncer et d’opérer. Elles ne sont pas les prédictions d’un homme lucide sur la fin tragique qui l’attend, à la lumière des événements qui accumulent les risques d’une arrestation et même d’une condamnation, comme ce fut le cas pour Jean-Baptiste. Elles son plus que cela. Au-delà de sa mort, Jésus prophétise et annonce sa Résurrection.

« Trois jours après sa mort, il ressuscite. » et il en est sûr. « Il le dit avec netteté (« parrèsia), clairement. » (Marc 8. 31 et 32) Cette annonce avait déjà posé question aux trois témoins de la Transfiguration. Ils se demandaient ce que signifiait « ressusciter d’entre les morts ». Jésus leur demande de n’en point parler parce qu’il est trop tôt pour que cette annonce soit pleinement compréhensible.

Non pas que l’idée que l’idée en soit tout à fait étrangère au judaïsme puisqu’elle était même l’objet de débats entre les Pharisiens et les Sadducéens à l’époque de Jésus. Mais il s’agissait de la résurrection collective au dernier jour. Pour Jésus, c’est une résurrection personnelle dans le temps. C’est le troisième jour.

Il ne demande plus de se taire, il parle ouvertement et publiquement. Le renoncement radical demandé aux disciples ne conduit pas à une impasse. Ce n’est pas un suicide collectif où Jésus veut entraîner ses fidèles dans son malheur. Il leur demande d’assumer tous les risques que lui-même assume pour entrer dans la gloire. Aux témoins de sa gloire d’un instant à la Transfiguration, il demande aujourd’hui d’être témoins (« martyros ») de sa gloire par la confession de toute leur vie, jusqu’au martyre, pour avoir part à sa gloire et non pas seulement la contempler.

***

La confession de la foi ne peut rester que paroles ou ébahissement sentimental et contemplatif. Elle doit se traduire en actes, dans la réalité de nos vies quotidiennes. « Montre-moi ta foi qui n’agit pas. Moi, c’est par mes actes que je te montrerai ma foi. » (lettre de Jacques 2. 18) La devise que saint Dominique a proposé à ses frères, le dit d’une manière claire et lapidaire : « Contempler et transmettre aux autres les richesses contemplées. »

Jésus-Christ ne s’est pas contenté de nous annoncer une Bonne Nouvelle. Il nous donne en partage sa Vie par l’offrande de sa mort et le don de sa Résurrection. Il nous demande de la partager avec lui, par l’offrande de notre vie, à son Père et pour nos frères.

« Que la grâce de cette communion saisisse nos esprits et nos corps, afin que son influence et non pas notre sentiment, domine toujours en nous. » (Oraison de communion pour ce dimanche)

année liturgique B