Homélie pour le dimanche 1er mars

Références bibliques :

Livre de la Genèse : 22. 1 à 18 : « Puisque tu m’as obéi… »
Psaume 115 : « Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur ?. »
Lettre de saint Paul aux Romains. 8. 31 à 34 : « Il n’a pas refusé son propre Fils…. »
Evangile selon saint Marc : 9. 2 à 10 : « Ils ne virent plus que lui, Jésus, seul, avec eux. »

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En ce deuxième dimanche de Carême, grande est la force spirituelle qui ressort du message de la Transfiguration du Seigneur. Nous en sommes même tentés de ne lire qu’avec moins d’attention, la réponse d’Abraham et l’assurance de saint Paul.

PRENDS TON FILS, CELUI QUE TU AIMES

Le projet de Dieu, pour chacun de nous, est de nous conduire à Lui, mais le chemin qu’il nous demande de suivre est celui-là même du Christ.

Comme il en fut pour le Christ, ce n’est pas de vivre une aventure, fut-elle celle de la foi. Le désir de la foi, c’est de rejoindre l’infini. Le désir de l’amour, c’est de vivre sa durée. Le désir de l’être, c’est Dieu, alors que nous ne le connaissons pas dans l’infini de sa réalité.

Quand Abraham quitte Ur en Chaldée, il ignore de quoi seront faits les lendemains. De quelles joies ? de quelles épreuves ? de quels détachements ? Il ne connaît rien du projet de Dieu sur lui, mais, pour lui, ce Dieu qui lui parle est plus que son pays, que sa patrie, que la famille, que la maison de son père.

Il en est bien aussi de notre vie.

Et puis, un jour, ce qui nous est demandé dépasse notre humaine compréhension. Ce fils, Isaac, est l’unique espoir d’une descendance et c’est lui qui doit être sacrifié. La foi d’Abraham assume ce paradoxe. C’était une épreuve, et ce fils, « cet unique, celui que tu aimes », parce qu’Abraham a préféré Dieu à tout autre amour, devient l’avenir même du Peuple de Dieu,

Saint Paul appuie sa foi sur l’assurance même de l’amour que Dieu nous porte. Il n’a pas vécu ce que Pierre, Jacques et Jean ont vécu sur la montagne au jour de la Transfiguration. Et pourtant il a vécu lui aussi une indicible lumière sur le chemin de Damas et il peut alors déclarer à son disciple Timothée : « Il nous a donné une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce… Maintenant elle est devenue visible à nos yeux « (2 Tim. 1. 9)

Et c’est cela qui est dit aux disciples sur le Thabor. La gloire de Dieu passe par le chemin de l’humilité, de l’épreuve et de l’amour.

REJOINDRE LA PAQUE DU SEIGNEUR.

Dans sa marche vers Pâques et Jérusalem, Jésus gravit cette montagne de Galilée. Saint Marc nous précise : « Une haute montagne », ce qui n’est pas sans rappeler celle de l’Horeb où Dieu parla à son peuple, au Sinaï. La montagne où Moïse ne pouvait pas regarder en face la lumière de Dieu, que les apôtres ont pu voir un instant, sans en mourir.

La tradition chrétienne, dès les premiers temps, l’a identifiée au mont Thabor. Les nombreux sanctuaires, qui ne sont plus que ruines aujourd’hui, nous le disent. C’est la plus haute montagne de Galilée, toute autre que la montagne sainte de Jérusalem. C’est aussi un endroit merveilleux d’où l’on découvre la vallée fertile d’Esdrelon vers la mer et, de l’autre côté, jusqu’au lac de Tibériade.

Jésus emmène donc Pierre, Jacques et Jean, à l’écart, selon une expression de l’Evangile, qui signifie à la fois moment de repos, moment d’intimité avec ses disciples et moment de prière avec son Père. Et c’est là que la lumière jaillit de tout l’être humain de Jésus.

Si la liturgie de l’Eglise nous fait lire cet épisode chaque deuxième dimanche du Carême, c’est que la Transfiguration donne tout son sens à notre démarche vers Pâques, qui est celle de notre « intégration » dans la vie divine par le Christ ressuscité.. Le Christ est plénitude de Dieu, « lumière née de la lumière ». Il l’unit à sa nature humaine, à son corps même, dans le mystère de son union à la splendeur divine.

C’est ce à quoi il nous propose de participer, à notre tour, puisque la grâce de notre baptême et des sacrements réalise en nous cette divinisation.

Pendant ces quarante jours, nous sommes « guidés par l’Esprit » (1er dimanche de Carême) et tentés dans le désert qui est le nôtre. Aujourd’hui, nous avons à gravir, avec lui, la montagne qui est celle du Thabor, qui, demain, sera celle du Calvaire.

Aujourd’hui, il nous demande de nous laisser englober dans la nuée lumineuse, comme elle qui couvrit les trois apôtres de son ombre. La lumière, c’est le Christ mais aujourd’hui nous sommes avec lui dans l’obscurité de son humanité avant d’être révélée dans la lumière du matin de Pâques. « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts » (Matthieu 17. 9).

Et saint Marc souligne bien cette présence du Christ à nos côtés : »seul avec eux… » Moïse et Elie, la Loi et les Prophètes ne sont plus là. Le Christ nous suffit, même si aujourd’hui nous nous demandons comme les trois disciples, « se demandant entre eux ce que voulait dire : ressusciter d’entre les morts. »

Ils n’osent pas questionner ce Jésus avec qui ils ont vécu un moment d’extraordinaire mystère. Saint Paul nous le dit : »Il est ressuscité, il est à la droite de Dieu. »

LA LOI ET LES PROPHETES

Ce n’est qu’à partir de la Résurrection que les apôtres comprendront pleinement le sens d’un événement qui les avait bouleversés autrefois, sans qu’ils puissent alors en saisir toute la portée.

Revenons un instant sur cette présence qui entoure le Christ, le Messie annoncé par la Loi et les Prophètes. En effet au sein de cette vision glorieuse, apparurent aux côtés du Seigneur, Moïse et Elie, ces deux sommets de l’Ancien Testament, représentant la Loi et les Prophètes.

Moïse, l’homme de l’Exode vers la terre promise, dont on ne sait où se trouve précisément son lieu de sépulture sur le mont Nébo (Deutéronome 34). Elie fut enlevé au ciel (2 Rois 2. 1 à 15) Le visage de Moïse avait resplendi d’une gloire qui venait, non pas de lui-même, mais de l’extérieur, après la révélation du mont Sinaï (Exode 43. 29), il était reflet.

Au Thabor, le visage du Christ n’est pas un reflet, mais une source de lumière, source de la vie divine rendue accessible à l’homme et qui se répand aussi sur ses « vêtements », c’est-à-dire sur le monde extérieur et sur les produits de l’activité et de la civilisation humaines.

Ils s’entretiennent avec lui, (saint Luc nous le précise), « de l’exode qu’il allait accomplir à Jérusalem » c’est-à-dire de sa Passion, car c’est par la Passion et la Croix que cette gloire devait être donnée aux hommes, entrant dans la Terre Promise, au jour de la Résurrection.

MON FILS BIEN AIME

Partis prier avec lui, ils entrevoient sa gloire. Ils l’avaient découvert comme le nouveau Moïse et le nouvel Elie auxquels ces prophètes du passé rendaient témoignage. Mais surtout ils perçoivent Dieu lui-même, si l’on ose parler ainsi, reconnaissant en Jésus son Fils. Jésus le villageois de Nazareth, le guérisseur, le prédicateur qui révèle aux foules de Galilée le sens de la Parole de Dieu.

« Le Fils bien-aimé », c’était l’humble charpentier qui se présentait à Jean-Baptiste. Aujourd’hui c’est le Messie de gloire. Au Thabor, Jésus est lui-même en même temps qu’il est le Tout-Autre, Parole de Dieu incarnée qui manifeste la splendeur naturelle de la gloire divine qu’il possède en lui-même et qu’il avait conservée dans son Incarnation, même si elle était cachée sous le voile de la chair.

Au Jourdain, Dieu révèle qui est Jésus son Fils. Au Thabor, il leur demande de l’écouter et ils doivent écouter et réaliser la Parole de son Fils pour la dire au moment de la Résurrection.

Sa divinité s’est unie sans confusion avec la nature de la chair. Et la gloire divine est devenue gloire du corps assumé. Il n’est pas le Fils bien aimé, par adoption, privilège ou mission temporaire. Il l’est par nature, et cela de toute éternité. La théologie dira, c’est son essence même, c’est sa substance.

Ce que le Christ manifestait ainsi à ses disciples au sommet de la montagne, ce que Dieu ratifiait par sa Parole, n’était pas un simple et nouveau spectacle, mais la manifestation éclatante de la divinisation en Lui de la nature humaine, y compris le corps, et de son union avec la splendeur divine. « La divinité de celui qui a prit notre humanité » (prière de l’offertoire de la messe).

NOTRE DIVINISATION

« Lumière née de la lumière,  » (Confession de la foi), lumière immatérielle, incréée et intemporelle, elle est celle du Royaume de Dieu venu en Jésus-Christ dans la puissance de l’Esprit-Saint. « Je suis la lumière du monde. »

Mais il l’a promis à ses disciples quand il nous a dit : « Vous êtes la lumière du monde. » Nous sommes ainsi un autre lui-même, c’est « notre vocation sainte, non pas à cause de nos actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. « 

« Devenue visible à nos yeux parce que le Sauveur, le Christ Jésus s’est manifestée, cette lumière deviendra l’héritage permanent des élus dans le Royaume. Elle n’est pas seulement un objet de contemplation passagère, elle est aussi grâce déifiante qui nous permet de « voir » Dieu. « Dans ta lumière, nous verrons la lumière » (Psaume 35. 10).

Nous recevons de cette contemplation la vie divine que le Christ, et lui seul, vit en plénitude. Il est la lumière de Dieu assumée en un homme, accessible aux hommes. Il nous faut alors aller jusqu’au terme de cette affirmation et de cette réalité.

Il n’est aucun geste de Jésus, aucune de ses gestes corporels, qui ne soient notre partage aux repas où on l’invite, sur l’autel eucharistique, où, par l’Esprit-Saint, l’imposition des mains divinise le pain et le vin au corps et au sang du Christ.

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« Tu nous as dit, Seigneur, d’écouter ton Fils bien-aimé. Fais-nous trouver dans ta Parole les vivres dont notre foi a besoin. Et nous aurons le regard assez pur pour discerner ta gloire. » (Prière d’ouverture de la messe).

année liturgique B