Homélie pour le 6 août

La fête de la Transfiguration que nous célébrons ce 6 août n’est pas la mémoire d’un simple épisode de la vie du Christ parmi ceux que nous rapportent l’Evangile. Ces quelques instants durant lesquels les apôtres voient le Christ en gloire entouré de Moïse et d’Elie, nous plongent dans le mystère de la personnalité humano-divine de Jésus et nous révèle la nôtre.

NB. Nous aurons difficulté à trouver des termes qui sont à la mesure d’exprimer adéquatement un tel mystère.

SON ITINÉRAIRE

La Transfiguration est un moment qu’il nous faut rejoindre par une méditation contemplative. Car elle est la manifestation de l’itinéraire de la présence incarnée du Fils de Dieu parmi nous.

La lumière du Thabor nous conduit au coeur de la révélation, celle des siècles désormais marqués par la réalité divine du Buisson ardent au désert, celle de la pensée divine lors de sa transmission au Sinaï, celle des prophètes qui nous introduisent dans cet au-delà et dont Elie est le premier qui l’a rejoint .

La Transfiguration au sommet du Thabor est ce moment heureux qui intervient juste avant la première annonce de la Passion comme pour fortifier les apôtres avant la grande épreuve qu’ils vont subir.

Pierre, Jacques et Jean seront au Jardin des ténèbres et resteront dans la nuit où ils ne peuvent contempler l’humilité de l’homme Jésus. Aujourd’hui, sur la montagne, il leur est donné de contempler toute la gloire de Dieu qui est présente en cet homme Jésus, gloire qui leur est ordinairement cachée…

Tout l’itinéraire de Jésus est concentré dans la Transfiguration, depuis l’engendrement à sa mission lors du baptême jusqu’à sa résurrection. Au Jourdain, Jean-Baptiste leur transmettra la Parole divine qu’il a entendue : »C’est mon Fils bien-aimé ». Ce ne sera qu’au jour de la résurrection, qu’elle se révélera lors de la rencontre du Cénacle.

C’est LUI que saint Jean nous donne de rejoindre comme il l’a vécu lui-même jusqu’au jour de la dernière rédaction de son évangile. Le mystère de la Transfiguration doit être médité à la lumière du Prologue de l’évangile de saint Jean : ch.1/1 à 18.

Il est la vie. Il est la lumière. Ne pas le méditer maintes et maintes fois au cours des événements de notre vie spirituelle, c’est rester loin de ces courtes et intenses minutes du Thabor.

DIEU EST LUMIÈRE

Il est donné aux trois disciples de voir Jésus dans la lumière qu’il est lui-même et non pas de voir la lumière divine. Il y a une telle « distance », qui n’est qu’une attente de notre « divinisation » déjà réelle, mais difficile à concevoir. Pour eux comme pour nous , c’est actuellement impossible dans notre cheminement humain, mais nous pouvons voir à ce jour, ce que nous sommes dans la lumière divine , mais nous avons déjà reçu la grâce de la présence plénière du Christ en nos vies insérées en celle de l’Église.

Déjà pour l’ensemble de l’Ancien Testament, la vision de feu ou de lumière n’est jamais une illumination ou une vision d’union divine, mais la manifestation d’un Dieu qui reste extérieur et incommunicable à l’homme.

C’est la vision de la Lumière divine qui réalise une véritable union entre Dieu et l’homme dans sa totalité, corps, âme et esprit : « Dieu est Lumière et il communique de sa clarté à ceux qui s’unissent à lui dans la mesure de leur purification. Ô miracle ! L’homme s’unit à Dieu spirituellement et corporellement… Dieu entre en union avec l’homme tout entier » (Serm. 25 de Syméon le théologien).

La vision de la Lumière divine est antinomique par nature, car elle est vision de l’invisible et seul le vocabulaire apophatique, c’est-à-dire procédant par négation, peut prétendre en donner témoignage.

« C’est un feu vraiment divin, incréé et invisible, inextinguible et immortel, incompréhensible, au-delà de tout être créé… » Le don de Lumière n’est accordé à l’homme qu’après un long chemin de purification et de repentir : « Le repentir est la porte qui conduit de la région des ténèbres à celle de la lumière » (dit encore Syméon le théologien)

LA DÉIFICATION DE L’HOMME

Spiritualité et théologie sont inséparables pour l’Église orthodoxe et la mystique de la Lumière divine ne fait qu’exprimer au niveau de l’homme l’accent profondément eschatologique d’une théologie centrée sur la transfiguration du monde et la déification de l’homme.

Dans le Nouveau Testament, la lumière n’est pas un attribut ou une manifestation de Dieu, elle est Dieu lui-même : « Le Verbe était la lumière véritable qui éclaire tout homme » (Jean 1,9).

D’ailleurs, une fois et ans l’épisode de la guérison de l’aveugle-né, Jésus dit de lui-même qu’il est la « Lumière du Monde » (Jn 9,5).

Dans la première épître de saint Jean, ce n’est même pas uniquement le Christ, mais Dieu qui est dit être Lumière (1 Jn 1,5). Et cette affirmation, qui pourrait paraître purement spéculative, se concrétise, se révèle, s’incarne pour ainsi dire dans la Transfiguration du Christ, qui est l’alpha et l’oméga de toute l’expérience spirituelle de la Lumière.

« Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements devinrent éblouissants comme la lumière » (Mt 17,2). Cette vision du Christ en gloire ne fut pas une vision spirituelle ou intellectuelle mais une contemplation par la totalité de l’être.

La Transfiguration, pour la tradition orthodoxe, apparaît comme la fête eschatologique par excellence, comme la préfiguration et l’annonce du Royaume qui commence déjà ici-bas, de ce Royaume qui sera l’apothéose de la Lumière divine et dont le livre de l’Apocalypse nous parle : « De nuit, il n’y en aura plus ; ils se passeront de lampe et de soleil pour s’éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa Lumière et ils régneront pour les siècles des siècles » (Apoc. 22,5).

D’une certaine manière, centrée sur la Résurrection et la Transfiguration éternelle, l’Apocalypse nous fait rejoindre le Christ qui est avant tout le Roi de gloire, le Triomphateur de la mort, le Seigneur Ressuscité. Le Christ n’est pas que le Crucifié et le Serviteur souffrant.

Quand saint Pierre parle de la participation à la nature divine (2 Pierre 1,4), il exprime en termes scripturaires cette doctrine de la déification qui, dans la pensée patristique, sera résumée par la phrase de saint Athanase : « Dieu est devenu homme afin que l’homme devienne Dieu ».

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La véritable nature de l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, est non plus la nature humaine déchue, mais sa nature déifiée. L’homme est appelé à être « divin » non par essence mais par grâce.

L’homme qui est appelé à participer à cette divinisation, ne sera jamais une sur-nature, mais Dieu-Trinité accomplit la véritable nature de homme, créé à l’image et à la ressemblance de de Dieu en une nature qui s’est obscurcie dans la chute et qui ne redevient elle-même que dans la Lumière de la Sainte Trinité.

année liturgique B