La 16ème Conférence Européenne de Science et Théologie

ciric_21602Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC 2016, n°22) sur la 16e Conférence Européenne de Science et Théologie (ECST) d’avril 2016 à Łódź (Pologne) sur le thème : « Sommes-nous spéciaux ? Science et théologie interrogent le caractère unique de l’homme ».

La 16e Conférence Européenne de Science et Théologie (ECST) s’est tenue à la fin du mois d’avril 2016 à Łódź, en Pologne, dans les locaux du grand séminaire. Le thème retenu cette année était : « Sommes-nous spéciaux ? Science et théologie interrogent le caractère unique de l’homme ».

Sous ce titre ambitieux (plus élégant sous sa forme originale en anglais : « Are we special ? Science and theology questioning human uniqueness », les objectifs de la conférence n’étaient évidemment pas de chercher à obtenir une réponse générale et consensuelle, mais bien plutôt de permettre aux participants de confronter leurs points de vue et leurs méthodes d’approche de la question. En témoigne le choix des sujets abordés au cours des cinq conférences en assemblée plénière :

– « La vie dans l’univers », par le Pr David Wilkinson
– « Comment définir l’être humain ? », par le Dr Jonathan Jong
– « Spécificité de l’être humain et anthropologie », par le Pr. Johanna Rahner
– « Évolution darwinienne et culture humaine », par le Pr Jerzy Dzik
– « Conceptions du monde et unicité de l’homme », par le Pr Michael Heller

La diversité des approches correspond évidemment à celle des profils des conférenciers. David Wilkinson est docteur en astrophysique théorique, pasteur méthodiste, et enseigne dans le Département de Théologie et Religion de l’Université de Durham, en Grande-Bretagne. Jonathan Jong est un tout jeune docteur en psychologie et philosophie de l’Université d’Otago (en Nouvelle-Zélande), qui anime actuellement un groupe de recherches sur «croyance religieuse et crainte de la mort » à l’Université de Coventry, toujours au Royaume-Uni. Mme Johanna Rahner, une des rares femmes titulaires d’une chaire de Théologie systématique et dogmatique, enseigne à la Faculté de Théologie catholique de l’Université de Tübingen. Michael Heller est prêtre catholique ; sa formation initiale en mathématiques et physique théorique, et ses fonctions de professeur de philosophie à l’Université pontificale Jean-Paul II à Cracovie, l’ont amené à devenir un spécialiste des relations entre science et théologie. Enfin, Jerzy Dzik est directeur de l’Institut de Paléobiologie de l’Académie des Sciences de Pologne à Varsovie.

Les trois quarts de la centaine de participants provenaient de 14 pays d’Europe de l’Ouest et de l’Est (avec, cette année, une forte représentation de la Pologne), ce qui est logique, puisque cette conférence est l’émanation de la Société européenne d’Étude des Sciences et de la Théologie (ESSSAT). Mais les États-Unis, le Canada et l’Afrique du Sud étaient assez largement représentés, et l’on pouvait même compter quatre ou cinq personnes venues d’Asie. Les Français étaient au nombre de six. Au total, plus de 70 communications furent présentées, sur des sujets extrêmement variés, et, il faut bien le dire, de qualité très diverse, mais donnant souvent lieu à des discussions animées. Comme c’est généralement le cas dans ce genre de colloque, les conversations informelles et les confrontations de points de vue et de pratiques que permettent ces rencontres sont au moins aussi intéressantes et informatives que les conférences officielles ; elles ouvrent souvent à des perspectives nouvelles, ou à la découverte de problématiques originales.

L’homme est-il « unique » ou « spécial » ?

Les conférences et les communications pouvaient pour la plupart être classées en deux catégories, selon qu’elles envisageaient la question du caractère « unique » ou « spécial » de l’homme en tant qu’espèce ou bien en tant qu’individu.

Dans le premier cas, on trouve les discussions tournant autour de ce qui pourrait rendre compte de la spécificité humaine au milieu de l’ensemble des espèces animales. Peut-il s’agir de l’intelligence réflexive, ou bien du libre arbitre, alors que des études d’éthologie animale de plus en plus nombreuses montrent des signes de ces fonctions chez des primates, voire même chez des oiseaux ? Par ailleurs, on peut s’interroger sur l’objectivité de la définition d’une espèce posée par les membres de cette même espèce (Jong, Oxford).

L’immensité de l’univers observable, et la découverte de plus en plus fréquente de planètes extrasolaires, relancent à nouveaux frais les spéculations sur l’existence d’autres formes de vie intelligente que la nôtre. Boulding (Cambridge) rappelle cependant que l’idée d’un univers infini n’est pas étrangère à la philosophie médiévale, par exemple dans les spéculations de Nicolas de Cues. Cependant, l’évolution biologique dont nous sommes issus est par essence un phénomène non reproductible, et toute espèce – y compris la nôtre – est ainsi « unique » au sens où son apparition est fondamentalement contingente dans le cadre du raisonnement scientifique. Sauf à admettre le « principe anthropique fort » qui suppose que les constantes fondamentales et les lois physiques qui régissent l’univers ont été « ajustées » dans le but de permettre à l’homme d’émerger, le fait que nous soyons-là n’implique pas que notre présence soit une nécessité logique. En se plaçant volontairement en dehors du domaine proprement scientifique, on peut dire que nous n’avons pas besoin de nous trouver au centre de l’univers pour être « spéciaux » : il suffit que nous soyons aimés de Dieu (Wilkinson, Durham). Mais se pose la question récurrente, alimentée en particulier par la découverte récente d’un Homo naledi qui aurait enseveli ses morts il y a plusieurs millions d’années, de la possibilité de tracer la limite entre des hommes aimés de Dieu et objets de rédemption, et des anthropoïdes pour lesquels les notions d’élection, de péché et de salut n’ont pas de sens (Veldsman, Afrique du Sud).

Vers une définition de la spécificité humaine

On est ainsi amené à aborder la seconde catégorie de réflexions, sur le caractère unique de l’individu humain dans ses relations particulières avec les autres membres du genre humain, qui donnent d’autres pistes pour une définition de la spécificité humaine dans un cadre anthropologique et sociologique. Certains philosophes considèrent l’évolution présente de la société humaine avec un grand pessimisme. La « mort de Dieu », pour Nietzsche, renvoie l’homme à ses propres forces, dont on peut se demander si elles sont suffisantes pour assurer sa survie. Plus radicalement, un Sloterdijk propose des « lois pour le zoo humain », formé d’une population d’hommes qui ne sont, selon Dawkins, pas davantage que des machines dotées d’une capacité très efficace d’autoreproduction. Pour sortir de cette vision, Mme Rahner (Tübingen) a mis en avant des philosophies positives telles que celle de Habermas, dans lesquelles la notion de liberté est centrale : un homme libre est l’image d’un Dieu libre. Cette liberté peut être comprise comme un « phénomène émergent » selon Polanyi, concept scientifique qui dans sa vision débouche sur une métaphysique humaniste (Bourdon, Paris). Liberté et alliance (entre les humains, ainsi qu’entre Dieu et l’homme) faisaient d’ailleurs l’objet d’un nombre significatif de contributions : situées dans le domaine de la christologie et de la théologie trinitaire, elles se plaçaient bien entendu résolument – et nécessairement – en dehors du cadre scientifique.

Une grande partie des intervenants disposaient d’une formation approfondie – et souvent d’une expérience pratique – d’une discipline scientifique, qu’il s’agisse de sciences de la nature ou de sciences humaines. Cependant, du fait même de cette spécialisation, le dialogue à ce niveau ne pouvait que rester un peu superficiel. Le langage commun, et l’intérêt partagé par tous, est celui du rapport entre religion et approche scientifique de la réalité. C’est pourquoi le caractère « croyant » – et plus spécifiquement chrétien – de cette rencontre était très affirmé. Ainsi, chaque journée s’ouvrait avec une célébration d’une dénomination particulière (catholique, anglicane, luthérienne, méthodiste) à laquelle tous étaient conviés. La conférence s’est terminée par une célébration oecuménique solennelle dans un lieu de culte majeur (cette année dans la cathédrale de Łódź).

Un colloque oecuménique

En plus des catholiques romains, on pouvait croiser principalement – sans forcément être capables de les identifier comme tels ! – des membres, ministres ou laïcs, des églises d’Angleterre et de Suède, des méthodistes et des luthériens. Les membres des Églises orthodoxes sont en général très peu nombreux aux ECST ; cette année ils étaient totalement absents (le fait que la conférence se tenait en Pologne y est-il pour quelque chose ?). Même si le judaïsme, l’islam et le bouddhisme étaient représentés par quelques personnes et dans quelques communications, il est clair (et cela résulte d’ailleurs de la politique de l’ESSSAT) que c’est la théologie chrétienne qui était mise en dialogue avec la science.

Ce dialogue science-religion semble correspondre à une réalité académique – et même institutionnelle – beaucoup plus reconnue dans les pays de culture germanique et anglo-saxonne que dans les pays de culture latine. Un nombre significatif de jeunes (dont une bonne moitié de jeunes femmes) participaient à cette conférence, et y présentaient des communications en général de très bon niveau. Ce sont pour la plupart des étudiants en cours de doctorat de théologie et/ou de philosophie, dans des universités britanniques ou allemandes. Certains d’entre eux – mais pas la majorité – ont une formation initiale scientifique. Dans certains cas, l’intitulé même du département où ces études doctorales se déroulent est explicitement « Science et Religion » ou « Science et Théologie ».

Une telle formation, sans doute unique en son genre en France, est la chaire «Science et religion» de l’Université catholique de Lyon, établie en 2012 grâce au soutien de la Fondation Templeton. C’est sur la proposition des acteurs de cette petite structure universitaire que l’ESSSAT a décidé d’organiser à Lyon sa prochaine conférence, en 2018. Il est donc possible d’espérer qu’un tel événement sera de nature à mobiliser un nombre significatif de scientifiques et de théologiens français, et de stimuler sur notre territoire un intérêt renouvelé pour un dialogue approfondi et fructueux entre les approches scientifique et religieuse de la compréhension de la place de l’homme dans la Création.

François Nau

Poitiers, 15 juin 2016

Les inter sont de la Rédaction

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