8. Une crise de la parole

crise-parole-9Cette crise du politique, n’est-elle pas avant tout une crise de la parole ? Nous savons que c’est la confiance dans la parole donnée qui permet que s’élabore une vie en société, c’est le fait que l’on privilégie des lieux – sous des formes diverses – de parole citoyenne, d‘échanges, de concertation, de médiation, etc… qui peut redonner ses lettres de crédit au politique. La parole permet aux hommes de se dire les uns aux autres ce qui a du prix pour eux. Il n’y a pas de projet durable qu’élaboré dans un rapport de dialogue. La politique est donc un lieu essentiel de l’exercice de la parole. Là où le conflit n’est pas dit, là où la vérité est transformée ou cachée, là risque d’apparaître la violence. Le débat est ce lieu privilégié où des affirmations diverses, parfois adverses, sont travaillées les unes par les autres. Des positions se  transforment, deviennent conscientes d’elles-mêmes. Dès lors, tout ce qui pervertit la parole, le mensonge, la corruption, les promesses non tenues ont des conséquences très lourdes. Et nous en sommes là aujourd’hui. Entre le « ras-le-bol » de ceux qui n’y croient plus et se désintéressent de la vie publique, et ceux qui, pleins de colère, veulent renverser la table et se tourner vers les extrêmes, la marge de manœuvre est de plus en plus étroite pour relégitimer la parole publique.

Comment gérer l’opposition, la violence que porte tout combat politique ? Comment affirmer ses convictions en opposition à une société qui ne les comprend pas et n’en tient plus guère compte ? Les convictions sont nécessaires, mais comment les intégrer dans la discussion – elle aussi nécessaire et indispensable – et ne pas tomber éventuellement dans une posture antidémocratique ? Comment tenir une parole prophétique qui ne soit pas que du lobbying ou une opposition véhémente et stérile ? La parole échangée, les espaces de dialogue à privilégier, s’ils sont plus que jamais nécessaires et urgents, supposent infiniment de doigté, de souplesse, d’adaptabilité alors même que la tentation est celle du passage en force et du repli sur ses positions. Nous ne sommes plus en effet à une époque où les débats, les affrontements même, se faisaient sur un socle de références culturelles, historiques, anthropologiques partagées. Aujourd’hui, – le débat autour du « Mariage pour tous » ainsi que toutes les questions éthiques sur le début ou la fin de la vie, l’ont bien montré -, il n’y a plus, ou de moins en moins, de vision anthropologique commune dans notre société. Tout semble discutable et à discuter. Toutes les positions veulent se voir écoutées, respectées, comme légitimes, à égalité. L’une des difficultés est d’arriver à parler et à être entendu dans une démocratie d’opinion dans laquelle tout – même l’anthropologie – est soumis au vote. On utilise les mêmes notions de part et d’autre mais sans y mettre les mêmes contenus, les mêmes réalités, les mêmes implications. On peut penser par exemple au mot de « dignité », souvent utilisé. Que d’appréciations différentes derrière ce mot…

Le politique va être sans cesse appelé à gérer des équilibres provisoires entre différents intérêts à un instant « T » de l’état de la société. Le problème bien sûr, c’est que le compromis, s’il est souvent un moindre mal qui permet malgré tout à l’immense majorité de vivre ensemble, est aussi perçu par les uns ou les autres, comme une solution insatisfaisante, allant trop ou pas assez loin, à mille lieux de l’affirmation d’une cause pure, et porteur de nouveaux affrontements. Le compromis, toujours suspecté de compromission, est ainsi ce qui, aux yeux de certains, contribue à dévaluer le politique. C’est mal comprendre ce que doit être véritablement le compromis, tâche indispensable et particulièrement noble du débat politique. Le vrai compromis est plus qu’un entre deux, simple résultat d’un rapport de force. C’est, à partir de positions différentes, entrer dans un vrai dialogue où on ne cherche pas à prendre le dessus mais à construire ensemble quelque chose d’autre, où personne ne se renie, mais qui conduit forcément à quelque chose de différent des positions du départ. Ce ne doit pas être une confrontation de vérités, mais une recherche ensemble, en vérité.

Dans les débats, parfois compliqués, de notre société, dire clairement ce qui semble bon pour la vie en commun est une responsabilité de chacun. Pour nous catholiques, nous ne pouvons rester indifférents à tout ce qui, d’une manière ou de l’autre, porte atteinte à l’homme. Cela signifie de l’intérêt pour les aspirations de nos contemporains, mais aussi une liberté intérieure qu’il faut savoir manifester avec le courage de l’Esprit même et surtout si elle est contraire aux discours ambiants et aux prêts-à-porter idéologiques de tous bords. Cet engagement peut prendre des formes différentes, à la mesure des enjeux, mais doit toujours être soutenu par un véritable respect pour ceux qui ne pensent pas de la même manière. S’il faut parfois donner un témoignage de fermeté, que celle-ci ne devienne jamais raideur et blocage. Elle doit être ferme proposition sur fond de patiente confiance que Dieu ne cesse d’avoir pour l’homme. La parole en société est toujours à relancer. Et les chrétiens, avec les autres, doivent veiller à la démocratie dans une société fragile et dure.

 

Pistes pour échanger
  • Comment jugez-vous la qualité du débat politique dans notre pays ?
  • Quelle doit être l’attitude du chrétien dans les débats de société ?

Table des matières
« Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique »
Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France aux habitants de notre pays

Introduction

  1. Retrouver le politique
  2. Une société en tension
  3. Ambivalences et paradoxes
  4. Un contrat social à repenser
  5. Différence culturelle et intégration
  6. L’éducation face à des identités fragiles et revendiquées
  7. La question du sens
  8. Une crise de la parole
  9. Pour une juste compréhension de la laïcité
  10. Un pays en attente, riche de tant de possibles

Conclusion
Quelques pistes pour échanger à partir du texte

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