Le motu proprio Ministeria quaedam (15 août 1972) et ses suites par Mgr Jordan

Jordan Thierry - Reims

Le 14 septembre 1972 sont rendus publics à Rome deux motu proprio, tous deux datés du 15 août de la même année. Le premier, auquel nous nous attachons ici, porte sur « certains ministères » (Ministeria quaedam), ce qui sous-entend qu’il peut y en avoir d’autres. Le second (Ad pascendum), que nous ne faisons qu’évoquer, établit des normes relatives à l’ordre du diaconat, en cours de refondation.

Dans l’un et l’autre cas, le propos de Paul VI est de mettre en œuvre ce que Vatican II a commencé à esquisser. Pour le diaconat, un profil a été dessiné et intégré. Pour les ministères, le Concile n’a rien prescrit concernant l’Eglise latine. Il a néanmoins, dit le pape, énoncé quelques principes d’orientation, notamment dans la constitution sur la liturgie. Il ne faut pas s’étonner de cette approche liturgique originelle. Pendant la préparation du Concile, de nombreux pasteurs ont demandé la révision des ordres mineurs et du sous-diaconat, aussi bien pour les fonctions à l’autel que dans leur nature même. Mais personne ou presque n’a envisagé d’extension à des laïcs hors toute perspective d’ordination, et le sujet n’est pas venu dans les discussions conciliaires.

Même s’il pressentait qu’on pouvait aller plus loin, il allait donc de soi que Paul VI confiât, dès 1968, à la Congrégation pour la discipline des sacrements (avec celle pour le clergé), le soin de consulter d’abord, et ensuite de préparer un document adéquat. Ce ne fut pas chose facile. Les Conférences épiscopales répondirent de façon très divergente, de même que les dicastères intéressés au sujet. Jusqu’où aller ? Sur la base de quels éléments ? Réformer sur le fond ou toiletter le cadre existant ?

Ministeria quaedam
porte ainsi la trace d’un débat à peine ébauché. On ne saurait en vouloir aux rédacteurs. Paul VI s’est finalement résolu à un texte de simple aggiornamento. Le sous-titre du motu proprio en témoigne : réformer la discipline de la tonsure, des ordres mineurs et du sous-diaconat dans l’Eglise latine.

Pourtant, ce qui motive Paul VI apparaît déjà dans le texte : il convient que chacun, dans l’Eglise, remplisse pleinement sa fonction, que la distinction entre clercs (à partir du diaconat) et laïcs apparaisse clairement, que ce qui est obsolète soit supprimé, que soit précisé ce qui est nécessaire ou pas aux ordres sacrés. Un paragraphe mérite d’être cité in extenso : « Outre les fonctions commune à l’ensemble de l’Eglise latine, rien n’empêche les Conférences épiscopales de demander aussi au Siège apostolique celles dont ils auraient jugé, pour des raisons particulières, l’institution nécessaire ou très utile dans leur propre région. De cette catégorie relèvent, par exemple, les fonctions de portier, d’exorciste et de catéchiste (cf. Ad gentes n. 15), et d’autres encore, confiées à ceux qui sont adonnés aux œuvres caritatives, lorsque ce ministère n’est pas conféré à des diacres ».

La liste est restreinte, mais pas exhaustive. Elle correspond à ce qu’on pouvait imaginer il y a 40 ans, à une époque où la plupart des choses reposaient encore, dans les pays de vieille chrétienté, sur les prêtres. Comme pour d’autres situations, le document ne visait pas d’abord, ou que, ces pays. Il voulait offrir des possibilités nouvelles aux jeunes Eglises, dans lesquelles se mettaient en place des catéchistes aux responsabilités étendues ou des chefs de communauté villageoises. On sait que les jeunes Eglises ne furent pas les premières (cf. pour le diaconat) à se saisir de l’opportunité, l’urgence étant de constituer un presbyterium autochtone. Mais les pays de vieille chrétienté ne saisirent pas plus l’opportunité, soit pour d’autres préoccupations, soit parce que le motu proprio passa relativement inaperçu, sauf dans les séminaires.
Il ne pouvait guère, d’ailleurs, en être autrement, la coordination des travaux et la rédaction ayant été demandées, comme on l’a dit, à la Congrégation pour la discipline des sacrements, et non à Propaganda Fide. Le Conseil pontifical pour les laïcs ne date que de 1976. De toute façon, il n’y n’avait pas de feuille de route très nette.

Le motu proprio est entré en vigueur le 1er janvier 1973, assorti selon l’usage d’une période d’expérimentation de cinq ans. Que s’est-il passé pendant ce temps ? La suppression de la tonsure et celle du sous-diaconat (dont les fonctions liturgiques ont été rattachées à l’acolytat), ainsi que l’entrée dans la cléricature par le diaconat, ont été réalisées. Les ordres mineurs ont été réorganisés comme prévu, et sont devenus les ministères institués précédant les ordres sacrés. Mais pour la dimension missionnaire et responsable de ces ministères et d’autres ministères potentiels, on n’a pas avancé.

A cela, deux raisons principales : soit les Conférences épiscopales n’ont rien demandé de 1972 à 1977 (c’est le cas de l’immense majorité), soit les quelques rares à avoir posé la question ont souhaité un autre cadre que le contexte liturgique, ou formulé des souhaits aux conséquences imprévisibles, pour lesquels il était urgent de se hâter lentement.

A l’automne 1977, Paul VI s’est donc trouvé devant un cas de conscience difficile à trancher :
• Valider définitivement le motu proprio, avec le risque d’en rester aux séminaristes, en entretenant le flou par rapport aux chrétiens de base.
• Ou préciser son intention quant à ces chrétiens de base, mais le sujet n’avait pas été assez travaillé et, dans le bouillonnement de l’après-Concile, on risquait d’ouvrir une nouvelle boîte de Pandore du genre des assistants pastoraux d’Allemagne ou des Pays-Bas. Rappelons-nous qu’aux Pays-Bas on a été au bord du schisme.
Il a opté en fin de compte pour une autre voie, confirmant les institutions aux ministères pour les futurs ministres ordonnés, et appelant, pour les autres fidèles, à une clarification de certains points par un groupe de travail… qui n’a pas eu le temps de se réunir avant sa mort en août 1978. Reconnaissant que les seuls deux ministères liturgiques définis (que beaucoup remplissaient déjà de facto sans institution particulière) ne répondaient pas à ce qui avait été initialement conçu, il voulait une étude sérieuse de pistes nouvelles et lancer des théologiens et des pasteurs sur cette affaire.
Si l’on recherche un signe public d’une telle position, on n’en trouvera pas. Il n’y a pas eu d’acte officiel, sinon l’absence du « visa » qui aurait dû être apposé en bonne forme pour instaurer la validité du document jusqu’à ce que l’on pourvoie autrement. Cela s’est fait en interne, à la Secrétairerie d’Etat. Parmi les principales préoccupations, en voici quelques-unes :
• Les ministères sont-ils obligatoirement permanents et définitifs ? Créent-ils une catégorie de personnes ?
• Si les ministères de lecteur et d’acolyte, à cause de leur lien à l’eucharistie, sont réservés aux hommes comme le prescrit le motu proprio, d’autres peuvent-ils être confiés à des femmes ? Paul VI n’y voyait pas d’inconvénient, semble-t-il, mais il n’a pas tranché la question.
• Les catéchistes responsables (à quel niveau ?) pourraient sans doute être institué(e)s. Faut-il les instituer tous (toutes) ? Or il y a d’autres vraies responsabilités ecclésiales : hôpitaux, catéchuménat, jeunes, prisons etc. Quels critères donner ? Qu’est-ce qui distinguerait un ministre institué d’un responsable qui ne le serait pas ? L’importance de la mission ? Son caractère diocésain ? Sa nature (la notion d’office dans son acception et son extension actuelle ne sera définie que dans le Code de 1983) ?
Bref, Paul VI a laissé à ses successeurs un chantier sur lequel on n’a pas beaucoup progressé. Aucune commission, aucun groupe, ne se sont mis au travail. Il a fallu attendre la préparation du Synode sur la vocation et la mission des laïcs dans l’Eglise et dans le monde, les interventions lors de ce même Synode (1987) et l’exhortation apostolique Christifideles laici (1988), pour que la question soit reprise, sans être complètement clarifiée pour autant.

Dans Christifideles laici, il faut lire particulièrement le n. 23 sur les ministères, offices et fonctions des laïcs. Les pasteurs sont invités à les promouvoir selon l’opportunité et l’utilité. On dit même qu’ils peuvent conférer ces ministères. Cela étant posé, il y a aussi des restrictions : on met en garde sur l’usage indiscriminé du terme « ministère », sur la confusion et le nivellement entre sacerdoce commun et sacerdoce ministériel, l’interprétation arbitraire du concept de suppléance, la tendance à la cléricalisation des laïcs, et le risque de créer une structure ecclésiale de service parallèle. Bref, une ouverture réelle et beaucoup de garde-fous.

Jusqu’ici, le n. 23 de Christifideles laici est le texte le plus élaboré et le plus large dont nous disposions sur la question. Mais comme on l’a vu, s’il parle de fonctions (vague), d’offices (très précis) et de ministères, il ne définit pas la nature de ces derniers. Distingue-t-il vraiment les trois termes et comment ?

On notera qu’en finale de ce n. 23, Jean-Paul II annonce qu’une commission spéciale a été constituée, « qui a pour but non seulement de répondre à ce désir explicite des Pères synodaux, mais aussi et surtout d’étudier, de manière approfondie, les divers problèmes théologiques, liturgiques, juridiques et pastoraux soulevés par l’abondante floraison actuelle des ministères confiés aux fidèles laïcs ». Et il ajoute qu’en attendant ses conclusions, on devra se conformer à la différence essentielle entre le sacerdoce ministériel (ordre) et le sacerdoce commun (baptême, confirmation). Autrement dit, on ne bouge pas jusqu’à plus ample informé.

Cette fameuse commission n’a pas vécu longtemps, si tant est qu’elle ait vécu. Elle se serait réunie trois ou quatre fois, sans conclure. Mais on peut penser qu’elle a été à la source d’un travail interdicastériel (Clergé, Laïcs, Doctrine de la foi, Liturgie et sacrements, Evêques, Evangélisation, Vie consacrée, Textes législatifs), qui a abouti en 1997 à une « Instruction sur quelques questions concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres », dont on peut trouver le texte sur les divers sites internet du St-Siège et des dicastères.

Ladite instruction relève que l’usage s’est établi d’appeler ministères non seulement les offices et les charges exercés par les pasteurs en vertu de leur ordination, mais aussi ce qu’exercent les fidèles non-ordonnés en vertu du sacerdoce baptismal. Le langage – dit-elle – est incertain et confus si on ne distingue pas la différence d’essence, et pas seulement de degré, entre sacerdoce baptismal et sacerdoce ordonné. Le terme ministère (servitium) appliqué à tous exprime simplement l’œuvre par laquelle les membres de l’Eglise prolongent, pour elle-même et pour l’Eglise, la mission et le ministère du Christ. L’instruction définit ensuite ce qu’est un ministre extraordinaire (suppléance) et un député temporaire.

Ces précisions théologiques étaient nécessaires, mais elles ne répondent ni à ce qui concerne l’avenir du motu proprio de Paul VI, ni à l’approfondissement amorcé au Synode de 1987 et dans Christifideles laici. La visée est de se prémunir par rapport à un risque réel ou possible actuellement.

Depuis 1997, c’est le calme plat sur notre problème des ministères. Le Conseil pontifical pour les laïcs et les Congrégations pour la liturgie et les sacrements, et pour le Clergé, que j’ai fait interroger, ne peuvent donner d’indications précises. Les responsables ont changé. Les Conférences épiscopales ne se manifestent pas en tant que telles : les préoccupations sont ailleurs, chacune s’efforçant de gérer au mieux la situation dans son propre pays. Les évêques français, m’a-t-on dit, sont quasiment les seuls à poser la question de manière récurrente à l’occasion des visite ad limina. Les évêques allemands, par exemple, n’en veulent à aucun prix.
 

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