» Je ne te lâcherai pas que tu m’aies béni  » par René Poujol

rené_poujolTémoignage de René Poujol pour l’opération « Toile de Miséricorde », lancée par l’Eglise catholique en France, pour la 50ème Journée mondiale de la Communication, dimanche 8 mai 2016.

Issu d’une famille catholique, René Poujol a été journaliste de 1974 à 2009, au sein du groupe Bayard. Pendant 10 ans, il était rédacteur en chef de l’hebdomadaire Pèlerin. Depuis 2009, il tient un blog car il n’en reste pas moins un observateur gourmand, attentif et passionné de la vie du monde comme de notre société ou de l’Eglise catholique à laquelle il appartient.

De mon enfance dans une famille très catholique, me revient ce propos souvent entendu de la bouche de mes parents : « A tout péché miséricorde ». C’était déjà une belle disposition de cœur que d’adhérer, dans sa propre vie, à cet enseignement des Evangiles si contraire au bon sens populaire : qu’aucun péché ne peut épuiser la miséricorde divine. Même si elle semblait ici conditionnée par l’aveu du pécheur et sa ferme contrition. Notre monde est passé du péché à la faute puis à la simple erreur… sans supprimer pour autant la souffrance et le dégoût de soi. Mais pécher n’est-il pas, précisément, se tromper de bonheur ?

Ma vie, qui a passé sa ligne de partage des eaux, m’a rendu sensible cette parole de Benoît Lobet : « Qui connaît l’abîme apprend la tendresse, la compassion pour l’homme, ce frère multiple. Qui a vu en soi le gouffre le pressent chez ceux dont il croise le destin, il sait la douleur de vivre, et qu’il faut tout pardonner, toujours. » [1]

La charte éditoriale de Pèlerin, dont j’ai longtemps dirigé la rédaction, disait notre conviction commune que l’homme contemporain, plus que des leçons de morale, attend des chrétiens un compagnonnage aimant et fraternel. Cela nous a valu bien des critiques au motif qu’il appartenait au prêtre, dans l’intime, de pardonner, pas à un magazine de laisser croire que ce pardon pût s’adresser à tous, sans conditions. Mais à celui qui ne fréquente plus les églises, qui dira la tendresse de Dieu si les médias chrétiens ne se risquent pas à cette liberté ?

Sur mon blogue, depuis 2009, comme sur les réseaux sociaux, j’ai choisi cette même approche. En faisant mienne la conviction du pape François : « Si Dieu s’arrêtait à la justice, il cesserait d’être Dieu. » [2] Dans l’univers du net, cette miséricorde porte ses exigences : le respect de la vérité et le respect de l’autre ; l’écoute et le dialogue qui supposent de répondre avec bienveillance à ceux qui m’interpellent même rudement ; le refus du bon mot qui tue, par-delà le légitime combat des idées ; l’amour de l’Eglise, fut-il amour rebelle ; l’humilité d’accepter que d’autres puissent risquer une parole différente de la mienne au nom d’une même foi ; la conviction que de cette polyphonie peut naître une espérance, et pour certains le désir de chercher Dieu.

En cette année de la Miséricorde, je me sens une vocation de portier du Ciel, autorisé par grâce divine à tenir entr’ouvert l’accès à Celui qui me fait vivre, dussè-je pour cela rester moi-même sur le seuil. S’il est une page de la Bible qui me parle dans ce combat, c’est bien celle de la lutte de Jacob avec l’ange. Dans la nuit, il m’arrive de murmurer avec lui : «Je ne te lâcherai pas que tu m’aies béni» (Gn. 32, 27)

[1] Benoît Lobet, Mon Dieu je ne vous aime pas, Ed. Stock, p. 21
[2] Bulle d’indiction du jubilé extraordinaire de la miséricorde,  § 21

Sur le même thème