Où en est l’Egypte que va visiter le pape François ?

logo_françois_egypte_2017Le pape François se rendra en Egypte, vendredi 28 et samedi 29 avril 2017. Un voyage maintenu malgré les attentats contre deux églises coptes, dimanche 9 avril. Sa visite est importante à plus d’un titre, notamment oecuménique et interreligieux mais aussi politique.

Le pape François va d’abord soutenir la communauté chrétienne catholique, dont les effectifs ne dépassent guère les 250.000 fidèles mais qui joue un rôle important dans le pays, en particulier à travers les œuvres  éducatives des congrégations religieuses présentes, l’action sociale conduite par les paroisses, Caritas, etc. et son engagement pour le dialogue interreligieux.

Il va également rencontrer le pape Tawadros II, Patriarche d’Alexandrie des coptes-orthodoxes, qu’il a déjà reçu très chaleureusement au Vatican, en mai 2013. Les chrétiens d’Egypte constituent le groupe le plus nombreux des chrétiens d’Orient (entre 8 et 10 millions, selon les sources), mais c’est une communauté qui fait l’objet de violences récurrentes, comme dimanche 9 avril, à l’église copte Mar Girgis de Tanta au nord du Caire, et à l’église Saint-Marc d’Alexandrie (44 morts) ou précédemment, en décembre 2016, avec l’attentat contre l’église Saint-Pierre et Saint-Paul, près de la cathédrale orthodoxe Saint-Marc, attentat qui a fait 25 morts, de nombreux blessés et traumatisé les chrétiens inquiets de voir se rapprocher le spectre de Daech.

Plus récemment, des chrétiens assez nombreux ont dû quitter la région du Sinaï où les forces de sécurité égyptiennes font régulièrement l’objet d’attaques meurtrières.  La visite du pape François sera donc une source de réconfort pour les chrétiens d’Egypte, toutes confessions confondues, et un soutien personnel pour la pape copte-orthodoxe Tawadros dont l’ouverture œcuménique est loin d’être suivie par une partie de son synode, héritée de son prédécesseur le charismatique mais très autoritaire et conservateur pape Shenouda III.

Reprise du dialogue avec le grand Imam d’Al-Azhar 

Le pape François va également rencontrer le grand Imam d’Al-Azhar, Dr Ahmed al Tayyeb. Cette visite permettra de clore de manière solennelle et publique un malentendu entre Al-Azhar et le Vatican commencé après le discours du pape Benoît XVI à Ratisbonne, en septembre 2006. Les contacts annuels entre le Vatican et Al-Azhar, qui avaient lieu chaque année en février depuis la visite de Jean Paul II en février 2000, avaient alors été suspendus à l’initiative du partenaire musulman. Diverses tentatives romaines n’étaient pas parvenues à apaiser le climat, l’imam d’Al-Azhar devant aussi tenir compte des courants religieux conservateurs qui traversent l’islam sunnite, y compris en Egypte, où beaucoup de religieux restent marqués par la formation reçue en Arabie saoudite ou dans les pays du Golfe.  Les malentendus ont été clarifiés et les relations ont repris lors d’une récente visite au Caire d’une délégation catholique conduite par le cardinal français Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. La visite du pape François va sceller cette réconciliation.

Elle a aussi impact sur la manière dont le grand imam peut se situer en Egypte aux plans religieux et politique. Entourée de pays secoués par le fondamentalisme religieux, secouée sur son propre terrain par de fréquents attentats terroristes, l’Egypte a le souci de rappeler que sa tradition musulmane, celle d’Al-Azhar, est « un islam du juste milieu », un islam populaire imprégnée de soufisme. Le grand imam d’Al-Azhar est connu pour sa modération, mais il ne fait pas l’unanimité au sein même de l’islam égyptien, travaillé lui aussi par l’islam politique et l’influence wahhabite. C’est pourquoi le président Sissi est intervenu vigoureusement devant les oulémas d’Al-Azhar en décembre 2014, les appelant à lutter contre l’idéologie extrémiste en « changeant radicalement notre discours religieux », pour qu’il soit « en accord avec son temps ». Cette intervention vigoureuse et inhabituelle de l’autorité politique devant les religieux musulmans a sonné comme une mise en garde. C’est certainement une des raisons qui a conduit le grand imam à organiser au Caire, les 22 et 23 février 2017, un séminaire sur « la lutte contre le fanatisme, l’extrémisme et la violence au nom de la religion ».

Que l’Egypte reste un pôle de stabilité dans la région

Enfin, la visite du pape aura un sens dans le positionnement politique de l’Egypte sur la scène internationale. On le sait, la communauté internationale a jugé de manière assez sévère le renversement du président Frère musulman Mohamed Morsi, le 13 juin 2013, oubliant parfois que l’armée a ainsi évité une guerre civile. L’inexpérience des Frères musulmans et leur obsession de conserver un pouvoir attendu pendant des décennies leur avait, en effet, aliéné le soutien d’une bonne partie de la population. Il reste que la destitution du président Morsi par l’armée a fait mauvais effet, surtout après les années du Printemps arabe qui avaient laissé croire que la démocratie était désormais presque acquise dans ce pays.

De plus, le régime du maréchal Sissi s’est révélé impitoyable : après avoir emprisonné les militants Frères musulmans par milliers, il s’est montré aussi implacable avec les activistes qui osent critiquer son autoritarisme. Quelques chercheurs étrangers en ont même fait les frais. Fermant les yeux, plusieurs pays occidentaux, dont la France, ont pourtant continué à armer ce pays, bien conscients qu’il est décisif que l’Egypte reste un pôle de stabilité dans une région où plusieurs pays sont en pleine implosion (Libye, Irak, Syrie, Yémen) ou dans un équilibre fragile (Arabie saoudite). D’où les ventes de Rafale et BPC Mistral par la France, la vente de sous-marins par l’Allemagne, etc. L’Egypte doit tenir à tout prix, ne serait-ce qu’à cause du canal de Suez, dont la sécurité est d’une importance majeure pour le commerce mondial. Même si le pouvoir temporel du pape François est symbolique, sa visite montre que ce pays reste fréquentable.

Economiquement, l’Egypte traverse aussi une étape difficile. L’insécurité consécutive à la Révolution populaire de 2011 place Tahrir a fait fuir le tourisme, qui ne revient que lentement ; le manque de visibilité politique n’aide guère à attirer les capitaux internationaux, malgré des projets audacieux du régime actuel : doublement du canal de Suez, construction d’une nouvelle capitale entre Le Caire et Suez pour désengorger une ville de 20 millions d’habitants qui étouffe. Pour ne pas tomber en faillite, le régime a dû accéder à une demande ancienne du Fonds Monétaire International (FMI) : faire un plan d’ajustement structurel, comprenant, entre autres, une limitation progressive des subventions des produits : essence, huile, farine, sucre, etc. Ces subventions ruinaient les finances publiques, mais nul chef de l’Etat n’avait eu le courage ou la force d’oser cette réforme. Le président Sadate l’avait tentée en 1977 mais avait dû faire machine arrière suite aux « émeutes du pain ». Le président Sissi a engagé cette réforme difficile, en proposant des mesures graduelles et en évitant que les produits de première nécessité ne soient trop affectés, mais cela a eu néanmoins un effet inflationniste immédiat. Le gouvernement égyptien, désireux de faire la vérité des prix pour de bon, a également laissé flotter la livre égyptienne qui a perdu  48 % de sa valeur en une journée, le 3 novembre 2016. Du coup, les produits importés ont renchéri un peu plus, y compris des denrées aussi vitales que le sucre, denrée cruciale dans un pays qui a dépassé les 95 millions d’habitants.  L’espoir des autorités égyptiennes est que les importants gisements de gaz, récemment découverts en Méditerranée dans ses eaux territoriales, permettront au budget de l’Etat de retrouver assez vite des liquidités en devises.

Bref, le tableau d’ensemble de la situation que le pape François va visiter est complexe, mais pas désespéré. Beaucoup d’Egyptiens font encore confiance au régime du président Sissi, convaincus qu’il les protège des drames absolus que connaissent les pays voisins. Beaucoup de chrétiens n’hésitent pas à dire que le président est « un cadeau du Ciel », car il entend donner un coup d’arrêt au fondamentalisme islamique et a donné des signes très explicites de son amitié pour la minorité chrétienne (visite à la cathédrale copte-orthodoxe lors de la messe de Noël, reconstruction en quinze jours par l’armée de l’église dévastée par l’attentat de décembre, etc.) A travers les hauts et les bas de l’histoire, l’Egypte reste un des principaux pays de la région et sera honorée par cette visite qui touchera le cœur de beaucoup, chrétiens et musulmans.

Fr . Jean Jacques Pérennès, op

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