Volontariat dans l’Eglise : Mgr Garnier et Mgr Gobilliard témoignent

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Mgr Emmanuel Gobilliard

Alors que la Délégation Catholique pour la Coopération (DCC) fête ses 50 ans en 2017, Mgr François Garnier, archevêque de Cambrai, et Mgr Emmanuel Gobilliard, évêque auxiliaire de Lyon, relisent leur expérience de volontariat à l’étranger. 

Mgr François Garnier, archevêque de Cambrai, était coopérant depuis 1965, à Alep, en Syrie. Le mois de juin 1967 a été marqué par la Guerre des Six jours [entre le 5 et le 10 juin 1967, ndlr]. A l’issue du conflit avec Israël, la Syrie a perdu le plateau du Golan et a expulsé tous les étrangers.

Mgr Emmanuel Gobilliard, évêque auxiliaire de Lyon, est recteur de la cathédrale Notre-Dame du Puy depuis 2006 quand il prend une année sabbatique à Madagascar, entre 2011 et 2012. Il sera au service d’un foyer de jeunes handicapés et professeur au grand séminaire de Fianarantsoa.

Peut-on parler d’une spiritualité du volontariat ?

Mgr François Garnier : Pour avoir accompagné la DCC pendant plus de 10 ans, les mots qui me viennent en tête sont : « Partir ». Partir, c’est risquer. Beaucoup de jeunes n’imaginent pas pouvoir le faire. Pour « Servir ». On essaie de partager en se mettant à la hauteur de l’autre. Et même, en-dessous, pour qu’il n’ait pas peur. C’est se mettre dans la situation de Celui qui lave les pieds de ses apôtres. Et « Accepter » une vie modeste pendant longtemps, en général deux ans. Ce n’est pas si simple quand on sort de nos habitudes de vie occidentales ! C’est accepter d’aller dans l’un des 50 pays les plus pauvres du monde… C’est aussi accepter d’être envoyé : les jeunes partent pour ne structure catholique – un établissement scolaire, un diocèse… Ils ne choisissent pas leur pays de mission. Autre point fort : la DCC accepte tout le monde : ceux qui ont la foi, un peu ou beaucoup, et ceux qui ne l’ont pas du tout. Avec l’accompagnement vécu avec eux, avec la formation donnée, ils vont progresser dans la découverte du Jésus de l’Evangile et de l’Eglise.

Mgr Emmanuel Gobilliard : Je parlerais plutôt d’une spiritualité du don où la référence ce n’est plus moi, ma formation, mon expérience, mon désir de vivre une expatriation profitable, mais où la référence c’est l’autre. C’est pourquoi les organisations comme la DCC ou Fidesco ou le volontariat MEP, pour parler de celles que je connais, sont précieuses. Elles nous proposent de vivre un abandon : celui de ne pas choisir ni le lieu, ni la mission. Les besoins et les capacités des jeunes à correspondre à ces besoins priment. La société nous tourne vers nous, vers nos propres besoins, vers nos propres désirs. La mission nous sort de nous-mêmes et nous permet de passer du bien-être au bonheur. Le vrai bonheur, il nous fait parfois transpirer, il nous déstabilise, il nous surprend, mais il remplit notre cœur.

Mgr François Garnier

Mgr François Garnier

Quelles figures la Bible donne-t-elle pour vivre cette rencontre ?

Mgr Garnier : C’est Abraham et Moïse qui partent. C’est Jérémie qui dit qu’il ne saura pas faire. C’est Amos, envoyé dans un autre royaume. J’ai pensé aussi à Marie. Car vraiment, quel chemin fou elle a dû accepter de parcourir, dans la confiance la plus absolue ! Ou bien à Pierre : « Quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller » (Jn 21, 18). Fondamentalement, je trouve que le Lavement des Pieds est le plus difficile. Pourquoi ? Parce qu’on arrive avec notre auréole d’étranger riche, avec nos vêtements, nos diplômes… Quand nous arrivons avec toutes ces richesses ; comment ne pas faire peur à l’autre ? Comment faire cet effort pour le rejoindre là où il en est, lui. Comment faire cet effort, pour ne pas écraser l’autre ? J’ai retenu ceci d’un livre de théologie : « Le regard d’en haut anéantit  l’amour ». Je trouve cela très juste. On peut le voir dans nos vies : ceux qui nous regardent de haut ne sont pas ceux qui nous aident.

Mgr Gobilliard : Le modèle pour moi, c’est Abraham et, bien sûr Jésus. Abraham quitte son pays pour répondre à un appel, celui de Dieu. Il apprend ainsi à sortir de lui-même, à quitter ses perspectives, ses vues humaines pour entrer dans celles de Dieu, beaucoup plus larges et plus fécondes. Jésus, notre Seigneur, nous montre que ce qui guide son action, c’est la volonté de son Père et le cri de l’humanité. La gloire de Dieu, c’est que nous nous précipitions au service de nos frères. La gloire de Dieu, c’est que nous mettions notre tablier de serviteur et que nous lavions les pieds de nos frères. Je suis frappé aussi par le fait que Jésus, juste après son baptême et les tentations au désert, part en Galilée. Il sort de son pays, de ses habitudes et part au chevet de ceux qui en ont besoin. Il obéit à son père en répondant à la soif des pauvres.

Quels ont été les fruits de cette expérience pour votre vie de foi ?

Mgr Garnier : J’étais enseignant dans un très grand collège-lycée de frères maristes. J’ai beaucoup aimé la vie avec les frères. J’étais habillé comme eux : nous portions une grande soutane crème. J’ai aimé la façon dont ils servaient les jeunes syriens. Ils accueillaient des chrétiens catholiques, des orthodoxes, mais aussi, pour moitié, des élèves musulmans et j’ai eu la joie d’avoir dans ma classe quelques juifs. Ce n’était pas rien de voir le respect qui existait entre ces communautés en Syrie, dans les années 60. J’ai aimé ces années d’enseignement et de vie partagée avec les Maristes. J’ai pensé devenir frère. De retour en France, je suis allée voir mon évêque pour lui proposer de devenir prêtre. Pour moi, ces années sont à l’origine d’un attachement fou pour le Proche Orient : pour ces terres de la Bible et pour les personnes qui l’habitent – en particulier les catholiques qui ne sont pas latins, les orthodoxes, les musulmans et les juifs – que j’ai aimé découvrir à travers des visages.

Mgr Gobilliard : Je crois que cette expérience m’a appris à écouter, à m’adapter. Elle a changé profondément mon cœur. Elle m’a révélé que j’étais trop tourné vers moi et que le bonheur c’était les autres, que mon bonheur c’était la vie des autres. J’ai encore beaucoup à apprendre mais cette expérience m’a fait du bien, dans ce domaine. J’y ai appris aussi le silence. Nous avons besoin du silence extérieur pour entendre notre bruit intérieur, le bruit de notre péché et laisser Dieu le guérir, l’apaiser, le pardonner. Lorsqu’enfin le silence intérieur se fait, par la rencontre avec Dieu, alors nous pouvons entendre en vérité les bruits du monde, ses souffrances, pour les faire entrer dans le silence de Dieu qui aura fait en nous sa demeure. J’ai appris que le silence, le vrai, c’était quand j’étais capable de me taire pour écouter Dieu et mes frères.

Quel est votre message pour encourager les candidats au départ ?

Mgr Garnier : A Rome, nous avons rencontré le Saint-Père pendant une heure. Nous lui avons offert le T-shirt bleu de la DCC avec au dos : « Un monde à partager ». Je me dis que pour beaucoup de jeunes – même ceux qui n’ont pas de grands diplômes – s’ils ont envie de grandir et de vivre une expérience fondatrice au début de leur vie d’adulte, ou pour les moins jeunes  – au début de la retraite – ce sont des années fondatrices. On ne revient pas comme on est parti. On fait de sa vie autre chose que l’itinéraire de sa propre réussite : on se soucie de la réussite des autres.

Mgr Gobilliard : Je leur dirais que cette expérience les grandira, les changera même. S’ils n’ont pas peur d’être changés par les autres, par la vie des autres, ils tireront de cette expérience un grand profit. Ils recevront d’eux plus que ce qu’ils leur donneront. Ils feront aussi l’expérience que l’Eglise est grande et belle. Une telle expérience, bien sûr, élargit notre cœur aux dimensions du Christ, aux dimensions de l’Eglise universelle. La mission nourrit notre espérance en même temps qu’elle nous fait comprendre que seul Dieu peut assouvir la soif de notre humanité. En quittant leur demeure, leur confort, leurs habitudes, les jeunes apprendront que nous n’avons pas ici-bas de demeure permanente, que notre demeure, c’est le cœur de Dieu et que nous pouvons nous nourrir de sa présence partout où il y a des pauvres.

La DCC a 50 ans dcc_délégation_Rome_2017

Avant 1967, chaque congrégation religieuse adressait au Ministère de l’Intérieur ou aux Affaires étrangères ses demandes de coopérants. L’Etat a invité l’Eglise à se coordonner. Le Père Roger Etchegaray, alors Secrétaire général de l’épiscopat français, a imaginé la Délégation Catholique pour la Coopération (DCC).

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