Avec le Secours Catholique, faire entendre la voix des pauvres

Véronique Fayet, Mai 2014 : Présidente du SC.En 2016, le Secours Catholique-Caritas France fête ses 70 ans. Toujours attentive aux nouvelles formes de pauvretés et à l’évolution des besoins des plus fragiles, l’association a publié son rapport annuel sur la pauvreté, organisé une collecte nationale et se prépare à interpeller les candidats aux élections en 2017. Rencontre avec Véronique Fayet, sa présidente.

Le Secours Catholique fête ses 70 ans. Comment va-t-il ?

Au printemps 2016 ont eu lieu de très belles marches fraternelles. Certaines ont conduit les participants dans des mosquées et des églises, pour des échanges entre communautés chrétiennes et musulmanes. D’autres passaient par la prison… Des rassemblements joyeux se sont tenus sur des sujets graves – comme aux frontières italiennes et espagnoles sur la question des migrants. L’idée de ces moments festifs et profonds était d’aller à la rencontre de tous ceux qui sont en grande difficulté aujourd’hui, aux périphéries ou en marge. Cela a suscité beaucoup d’enthousiasme dans les équipes. Dans cette dynamique, nous avons voté, en juin 2016, notre projet national : il définit nos orientations pour les 10 années à venir.

L’organisation a lancé plusieurs appels en faveur des migrants. Dans quel but ?

La question des migrants et des polémiques politiques secouent notre réseau, parfois pris à partie sur les Réseaux sociaux par des personnes très extrémistes. Pour les soutenir, nous avons envoyé un message très fort, suite aux polémiques lancées par certains élus prétendant que le démantèlement de Calais signifiait la création de nouvelles jungles partout en France et s’opposant à l’ouverture de CAO. On a considéré que c’était extrêmement grave. En tant qu’ancienne élue, je suis très sensible à la fonction symbolique de l’élu. Quand un grand élu tient des propos racistes ou d’exclusion, cela autorise de nombreux citoyens à « se lâcher » eux aussi, de manière plus virulente encore et éventuellement, à passer à l’acte. Nous avons réagi tout de suite en lançant un contre-appel : « Pour une France hospitalière » invite à la mobilisation de tout notre réseau pour être aux côtés des élus locaux et des préfets qui voudraient ouvrir des CAO.

Vous allez dans le sens du pape François…

Le Pape nous aide beaucoup en effet ! Nous l’avons vu à l’Assemblée générale des Caritas du monde, en mai 2015, à Rome. D’ailleurs, le réseau international a choisi pour thème, pour les 3 ans à venir, la question des migrations. On voit à travers nos amis des Caritas au Mexique, au Bangladesh, au Maghreb… que cette problématique domine. En Israël, nous soutenons une ONG qui s’occupe de réfugiés qui ont traversé le Sinaï. Ce désert est pire que la Méditerranée à cause des bandes armées qui rackettent les migrants. Or ils n’ont aucune chance d’avoir l’asile politique dans ce pays. Le phénomène est massif et mondial.

Le rapport sur la pauvreté 2016 a été publié le 17 novembre ?

Chaque année, le Secours Catholique sort un rapport statistique attendu qui fait autorité. Il est publié en novembre, sur les chiffres de l’année précédente. Il est suivi depuis une trentaine d’années, ce qui permet une perspective historique. Le constat est alarmant : malgré des politique sociales fortes, la pauvreté ne recule pas, au contraire. 9 millions de pauvres en 2015 en France, dont 3 millions d’enfants : c’est un scandale ! Et la question est absente du débat public sauf pour stigmatiser les pauvres ou les migrants. Nous avons donc interpellé tous les candidats à la primaire pour leur demander leur stratégie pour combattre efficacement la pauvreté. Un événement national à Paris, « Les voix de la pauvreté », construit avec des personnes en précarité, a permis également de rappeler que les pauvres ont une voix à faire entendre.

Ancienne élue, comment vivez-vous votre mission à la présidence ?

Mon expérience d’élue dans une municipalité me sert beaucoup, notamment le travail en réseau. J’ai très vite compris qu’on ne pouvait pas faire grand-chose, d’une part sans les autres institutions, mais surtout sans les associations. Si l’on veut construire avec les personnes qui vivent la pauvreté et l’exclusion, il faut passer par les associations pour le faire. La médiation des associations est nécessaire car elles accompagnent la prise de parole des personnes en situation de pauvreté, en l’organisant et en lui permettant d’émerger dans l’espace public. J’encourage beaucoup les équipes à dialoguer avec les élus et à soutenir les élus de bonne volonté. Je trouvais que les communautés chrétiennes ne venaient pas beaucoup me voir quand j’étais élue et qu’il y avait des moments difficiles, par exemple l’ouverture de centres pour jeunes drogués, ou SDF ou Roms… J’entendais beaucoup ceux qui étaient contre… mais pas assez les voix « pour » !

Depuis toujours les chrétiens pensent que la politique est un lieu où l’on se compromet, où certains sont là pour se servir et non pas servir… Les clichés sur les élus existent. Ils sont un peu moins vrais au niveau local car la proximité est forte. Le Pape, comme les évêques, ont pris des positions claires pour expliquer que le politique était « la forme suprême de la charité » et une façon d’œuvrer pour le Bien commun. La fraternité n’est réservée ni aux élus ni aux associations : elle se vit les uns avec les autres.

Présidente, qu’est-ce que cela dit de la place des femmes dans l’Eglise ?

J’ai été élue par le Conseil d’administration, avec l’accord de la Conférence des évêques de France. Donc à un moment donné, les évêques ont acquiescé au fait qu’une femme soit à la présidence. C’est un signe positif et pas anodin du tout. Je perçois un mouvement général dans l’Eglise. Le Pape a élevé le jour dédié à la célébration de Sainte Marie-Madeleine (22 juillet) de « mémoire » à « fête ». Elle est désormais présentée « comme un modèle de service des femmes dans l’Église ». Le dossier du Diaconat des femmes est réouvert… On évoque aussi la possibilité d’une femme à la tête d’un dicastère… Les choses évoluent de manière positive. Actuellement toutes les grandes associations sont présidées par des femmes – le CCFD-Terre Solidaire, ATD-Quart Monde, Médecins du Monde… Je pense que ce qui change, en tant que femme, c’est la manière d’être : une sensibilité de « présence » peut-être un peu différente. Cela tient aussi à mon caractère et à mon expérience mais je sens les femmes plus facilement à l’aise avec les personnes en grande précarité. On va vite parler de ce qui nous rassemble, des enfants. Ce qui est intéressant, c’est la mixité : elle bouscule en créant de l’altérité.

Comment le Secours Catholique va-t-il s’investir pour les élections de 2017 ?

Sur les questions internationales, nous avons élaboré un document de travail conjoint avec 4 organisations, dont le CCFD-Terre Solidaire. Nous avons préparé 15 questions aux candidats sur la coopération internationale, les paradis fiscaux… des sujets sur lesquels nous sommes impliqués depuis des années. L’idée est de prendre rendez-vous avec chaque candidat, voire parti politique, et de travailler avec des experts.

Sur les questions nationales, nous avons décidé de travailler avec le Collectif Alerte, présidé par François Soulage, pour aborder les grands sujets : l’emploi, les minimas sociaux, l’accès au droit, etc. Les prises de position seront communes et collectives.

Nous mobiliserons davantage notre réseau au moment des élections législatives. Présent sur tout le territoire national, le Secours Catholique a facilement des contacts avec tous les députés. Aux équipes de se mobiliser localement auprès des candidats.

« On est là pour changer le monde ! »

« Ensemble, construire un monde juste et fraternel » (2016-2025), ce document rappelle tout d’abord la vision et les valeurs du Secours Catholique. « Nous voulons nous attaquer aux causes de la pauvreté, insiste Véronique Fayet. Nous voulons changer le monde et transformer la société ». Les pages centrales développent 4 priorités pour les 10 prochaines années : savoirs, accès aux droits, territoires, interculturel et interreligieux. Il détaille ensuite les leviers d’action possibles et notamment l’engagement du Secours catholique au service de la « diaconie » de l’Eglise.

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