Mgr Wintzer : « Une chose est de conquérir le pouvoir, une autre est de l’exercer »

Mgr Pascal WintzerPour son 6ème colloque, l’Observatoire Foi et Culture interroge : « Le désenchantement du politique est-il irréversible ? » Une dizaine d’intervenants, dont Mgr Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers et Président de l’OFC, apporteront leur éclairage le 28 novembre 2015, à la maison de la Conférence des évêques de France à Paris.

Après la mort de Dieu et de la poésie (1), le politique serait-il mort ?

C’est une question que nous posons. Il s’agit aussi d’un constat : dans les pays démocratiques, de plus en plus de citoyens se détournent des élections. La politique ne se résume pas aux élections mais cependant, elle en est l’expression. Combien de pays dans le monde n’en profitent pas, alors que nous, qui y sommes peut-être trop habitués, semblons nous en détourner ? Pour quelles raisons n’y a-t-il pas cet engagement ? En raison d’une forme d’impuissance du politique par rapport aux grands défis d’aujourd’hui ? Sans doute n’avons-nous pas fait le deuil du « village » dont les Français pensent être issus – ce village où tout le monde se connaissait. Or on ne vit plus dans une société de ruralité mais dans un monde globalisé. Il ne suffit plus d’être trois au quatre pour être d’accord, il faut des accords internationaux, complexes, pour répondre à des problèmes internationaux. Cela ne retire rien au politique mais certaines de ses dimensions ne sont plus immédiatement perceptibles.

Les personnalités politiques manqueraient-elles d’ambition pour le bien commun ?

Celles que je rencontre sur le terrain ont cette ambition. Sinon, comment mèneraient-elles cette vie impossible qui est la leur ? Leur engagement a des conséquences sur leur vie personnelle. La vie familiale est souvent atteinte. Le rythme de vie, les sollicitations, les chausse-trapes : Il faut évidemment un sens du service. Il pourrait être davantage exprimé.

Qu’observez-vous quant aux relations avec l’Eglise ?

Le discours national des partis revient tout le temps sur la laïcité, parfois au sens un peu étroit du terme, alors qu’on constate, dans la réalité, que les relations entre Eglise et politique sont habituelles, voire quotidiennes. Les évêques, les prêtres et les laïcs en responsabilité ont des contacts réguliers avec les maires et les élus, qu’ils soient départementaux, régionaux ou nationaux. On ne sent pas l’ostracisme qui existe dans certains discours mais une volonté de travailler ensemble, au bien commun de la société. Peut-être aussi que les politiques ne peuvent plus rien seuls et qu’ils ont besoin de relais dans la société. Ils sont proches du milieu associatif et des Eglises, de l’Eglise catholique en particulier.

Comment l’Eglise est-elle présente au monde politique ?

Il y a quelques temps, je participais à un débat à Poitiers, avec le député-maire Alain Claeys, un des deux rapporteurs de la loi sur la fin de vie. Chacun a parlé dans le domaine qui est le sien – il y avait aussi des intervenants en soins palliatifs au CHU. Sur des projets comme la fin de vie, il est nécessaire d’entendre des paroles diverses. Les politiques et les religieux doivent être dans leur rôle. Ce n’est pas à moi, évêque, de faire la loi. Mais je prends ma part de responsabilité. Le public a entendu que l’Eglise avait une parole à dire, qui n’était pas celle du législateur mais une parole religieuse, spirituelle, philosophique. Je le redis : les partis politiques aussi doivent avoir une réflexion philosophique et éthique. Cette responsabilité doit davantage être développée et exprimée de leur part.

Qu’allez-vous proposer au colloque ?

Nous allons avant tout écouter un certain nombre de sociologues et de penseurs du politique aujourd’hui, en France et à l’international – Blandine Kriegel, Pierre Manent, Marcel Gauchet, Michel Schneider, Laurent Bouvet et d’autres encore – de différentes générations, qui redisent fortement aux élus le rôle qui est le leur. Je pense que les élus en sont conscients mais bien souvent le spectacle qu’ils donnent est celui des « écuries présidentielles ». Or une chose est de conquérir le pouvoir, une autre est de l’exercer. On voit bien une sorte de décalage entre cette conquête, les espérances qu’elle suscite et les déconvenues qui suivent. Il ne s’agit pas de discréditer la conquête du pouvoir. Des partis qui ne seraient que des écuries présidentielles ne joueraient plus leur rôle. J’ai rencontré les élus de mes deux départements et lors du dernier pèlerinage des élus chrétiens à Lourdes. Ils disent souvent leur désappointement de ce que leur parti n’est plus un lieu de réflexion politique. Ils vont quelquefois chercher ailleurs cette réflexion. Un certain nombre d’entre eux, lorsqu’ils ne sont pas chrétiens, le trouvent dans la franc-maçonnerie. Je regrette que les partis ne soient pas suffisamment des lieux de prospective. A l’inverse de cela, on observe que plusieurs candidats potentiels viennent de publier des livres, qui sont des ouvrages de réflexion.

Son message aux jeunes en politique observatoire_ foi_culture

L’été dernier, Mgr Wintzer a rencontré des Veilleurs lyonnais qui estiment que les partis politiques actuels ne leur permettent pas d’exister. Au contraire, l’archevêque de Poitiers considère qu’ils y ont leur place : « Je pense que les institutions ont la capacité de changer si des personnes qui ont un autre regard s’y engagent. Ce n’est pas uniquement de l’extérieur, à part ou à côté qu’on peut agir. J’inviterais les jeunes aujourd’hui à s’engager dans les partis tels qu’ils sont et qui évolueront de leur fait ».

(1) « Le monde occidental, me disais-je, a fait successivement l’expérience de trois morts : celle de Dieu, de la poésie, et du politique » Yannick Haenel (Je cherche l’Italie, Ed. Gallimard, 2015).

 

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