Loi santé : le P. de Malherbe met en garde contre « une logique déshumanisante »

13 mars 2009: Le P. Brice de MALHERBE, du département de recherche "Ethique biomédicale" du Collège des Bernardins, lors du colloque "Les sciences de la vie sont-elles porteuses de leur propre éthique", Collège des Bernardins, Paris (75), France.

Co-directeur du département d’éthique biomédicale du Collège des Bernardins, à Paris, le Père Brice de Malherbe apporte son éclairage sur certains enjeux soulevés par le projet de loi santé.

A travers les évolutions apportées aux lois en vigueur, à son début comme à sa fin, la vie risque d’être encore plus fragilisée. Ne s’agit-il pas d’une atteinte au respect de la personne humaine ?

L’être humain est inséré depuis sa conception jusqu’à sa mort dans un réseau de relations. C’est là un signe de sa vulnérabilité, car il dépend fortement des autres. En même temps, la richesse de sa personnalité déborde toute relation : son identité unique appelle au respect inconditionnel de sa vie personnelle. Si elle veut demeurer humaine et ne pas devenir inhumaine, notre société a le devoir de rechercher toujours ce qui favorise des relations solidaires, c’est-à-dire des relations où chacun puisse s’épanouir selon ses capacités dans l’attention aux autres, surtout aux plus fragiles.

Le droit de vie ou de mort que notre société s’est arrogée sur ses propres enfants depuis 40 ans place les adultes en situation de maîtres tyranniques et non en serviteurs solidaires de l’épanouissement des enfants. 220 000 avortements par an représentent une violence sociale terrible, bien au-delà de certaines situations dramatiques. La suppression du délai de réflexion avant IVG correspond à un étouffement de la conscience morale des femmes, bien entendu bouleversées intérieurement face à une décision d’une telle portée. La banalisation de la contraception d’urgence pour les mineures encourage des pratiques sexuelles sans lien avec une relation durable constructrice d’un amour interpersonnel véritable et accentue la confusion entre contraception et avortement.

Si elles sont adoptées, de telles mesures seraient malheureusement un renforcement d’une logique déshumanisante. Celle-ci se retrouve dans d’autres propositions comme l’encouragement à l’esclavage de la drogue constitué par l’ouverture de salles de consommation ou, récemment, la volonté de certains de légaliser l’euthanasie.

L’Eglise soutient le don d’organes mais insiste sur l’indisponibilité du corps humain. Pourquoi ?

Le respect de l’intégrité du corps humain est inscrit dans notre code civil. L’article 16 précise que ce respect ne s’arrête pas avec la mort. Si la survenue de la mort entraîne un changement dans la responsabilité morale – il ne s’agit plus de soigner un vivant – il nous revient cependant de respecter l’enveloppe corporelle de celui ou celle qui a été notre semblable. Parce qu’il symbolise fortement la personne décédée, le corps mort est digne de respect. Il ne peut tomber dans le domaine public, même en vue d’un prélèvement d’organes, qui restera toujours un acte symboliquement et médicalement lourd. Le même code civil rappelle prudemment que l’atteinte à l’intégrité du corps humain pour l’intérêt thérapeutique d’autrui doit rester exceptionnelle.

Le système législatif actuel régissant le don d’organe en France depuis 1976 est déjà insatisfaisant. Il repose sur le « consentement présumé », c’est-à-dire que si quelqu’un ne s’est pas volontairement inscrit sur un registre de refus de prélèvement d’organes après sa mort, il est présumé d’accord avec cet éventuel prélèvement. Comme certains l’ont souligné, ce système où le citoyen doit s’affirmer libre à travers un refus est douteux d’un point de vue démocratique et décourageant pour la générosité[1].

En plus, depuis quelques années, la possibilité de prélèvement d’organes sur des personnes reconnues mortes à la suite d’ « un arrêt cardiaque et respiratoire persistant » rend les choses encore plus ambigües moralement. En effet, lorsque quelqu’un fait par exemple un arrêt cardiaque dans la rue et que trente minutes d’effort n’ont pas réussi à le réanimer, les dispositions préparatoires au prélèvement de ses organes peuvent être mises en œuvre rapidement avant tout contact avec la famille ou vérification de son refus d’être prélevé.

L’amendement en discussion actuellement à l’Assemblée, visant à se passer de la consultation de la famille accentuerait cette tendance où le prélèvement d’organes s’inscrit de moins en moins, voire plus du tout, dans une logique de don volontaire. Seul un tel don volontaire constitue un véritable acte solidaire que l’Église encourage. Le reste tend à être un sacrifice de la liberté et de la dignité personnelle au profit d’un certain mythe de la santé parfaite.

Quels grands principes de la pensée sociale de l’Eglise peut-on rappeler ?

L’enseignement social de l’Église promeut « un humanisme intégral et solidaire »[2]. Cette promotion passe par le respect absolu de la dignité de la personne humaine, de sa conception à sa mort naturelle. Une dignité qui trouve son sens plénier dans le fait que toute personne est créée à l’image de Dieu et appelée à la vie éternelle en Dieu. Dieu est précisément communion de personnes. La dignité de chacun est d’être inséré dans cette communion de personnes divines et appelé à s’épanouir dans des relations constructrices d’une communion entre les personnes humaines. C’est pourquoi l’humanisme que promeut l’Église est un humanisme solidaire. Chacun est appelé à œuvrer au bien commun de la société, c’est-à-dire à développer sa vie « avec » et « pour » les autres (Compendium, n° 165). L’Église parle spécifiquement d’un « principe de solidarité » qui est une détermination ferme et persévérante pour travailler à la justice au profit de tous et au bien commun (Compendium n°193). La première condition de la justice est précisément le respect de la dignité de la personne humaine.

Quelles propositions concrètes l’Eglise souhaite-t-elle promouvoir ?

Bien des catholiques sont déjà engagés dans des actions concrètes : éducation affective et sexuelle orientée vers le respect de soi-même et d’autrui, dans un développement intégral de la personne ; écoute et accompagnement des femmes confrontées à l’avortement ou ayant subi un avortement ; écoute et conseil des jeunes et de leurs proches touchés par le fléau de la drogue et propositions pour en sortir. Sur la fin de la vie, l’Église encourage fortement la pratique et le développement des soins palliatifs.

Sur ces sujets, il existe une certaine écoute des responsables politiques des propositions de l’Église. Le dialogue reste cependant fragile et insuffisant. Portés par une idéologie libertaire, certains semblent s’enfermer dans leurs certitudes. Ils refusent de voir le caractère destructeur pour l’homme et la société de certains comportements. Par ailleurs, toute proposition venant de l’Église comme d’autres religions leur paraît suspecte vis-à-vis d’une conception étroite de la laïcité. Pourtant, vu le sérieux des enjeux, notre société aurait besoin de l’apport de tous pour chercher à résoudre les problèmes de notre temps.

[1] Cf. D. FOLSCHEID, J.-J. WUNENBURGER, La gestion des corps, in D. Folscheid, B. Feuillet-Le Mintier, J.-F. Mattei, Philosophie, éthique et droit de la médecine, PUF, 1997, 213.
[2] Cf. Compendium de la doctrine sociale de l’Église, Introduction.

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