Le miracle du petit couteau par Mgr Podvin

Mgr Bernard PodvinDans son bloc-notes de la Croix du Nord du 21 septembre 2014, Mgr Bernard Podvin revient sur l’incroyable témoignage d’amour relaté par Jean-Pierre Améris dans son film Marie Heurtin.

Marie Heurtin est une jeune fille sourde, muette et aveugle, vivant dans une famille pauvre, en plein dix neuvième siècle. Inutile de dire son terrible isolement dans une nuit relationnelle effroyable. Ses parents désemparés ont tout essayé. L’amour familial est là, mais impossible de socialiser Marie.

Un lien émouvant et mouvementé

Dans leur misère, les Heurtin veulent confier Marie à des religieuses accueillant des enfants sourds muets. Mais le handicap de Marie est d’un degré tel que la Supérieure de cette maison renonce à la garder. Dans cette communauté, pourtant, se trouve Sœur Marguerite. La sœur est de santé fragile. Mais elle est saisie par cet appel. Elle propose de consacrer le restant de ses jours à « humaniser » Marie. Elle ne peut accepter qu’on laisse cette enfant  dans la prison de son polyhandicap. Le visage de Marie est pour la sœur un signe de Dieu.
À compter du douze novembre prochain, un film remarquable de Jean-Pierre Améris relate le lien émouvant et mouvementé qui s’établit pour toujours entre elles. À vue humaine, quelle folie ! La religieuse ne dispose d’aucune méthode pédagogique, d’aucun support technique comme c’est le cas en 2014. La « méthode » ? C’est son cœur débordant d’amour et de patience. Non ! Marie n’a pas vocation à demeurer une sauvage ! Y croire est sans doute très beau, mais y parvenir ? Le film ne fait aucune économie des nombreux échecs. Marguerite ne veut pas quitter la terre sans voir le sourire apaisé de Marie.

Une audace prophétique

La rentrée littéraire vient d’être broyée par un « livre succès » polémique ne méritant pour tout commentaire que le silence. Comment préserver le film français Marie Heurtin d’être à son tour happé par la médiocrité ? Sœur Marguerite incarne dans ce film une audace prophétique. En deux siècles, les sciences de l’éducation et la technologie ont complètement changé la relation au handicap. On ne peut que se réjouir de certains progrès. Surtout quand ils procurent un confort de communication. Mais la technique ne se substituera jamais à la présence chaleureuse et encourageante. Sœur Marguerite avait les mains vides, mais redoublait d’attention envers Marie. On souhaiterait en 2014 voir de nombreuses Sœur Marguerite dans nos chambres d’hôpitaux bien équipées en technique, mais peu habitées humainement. Croyez-le, chers lecteurs, les personnes ayant déjà vu Marie Heurtin sont conquises par l’humanité et la profondeur de ce chef-d’œuvre. Je suis témoin que les sourds et malvoyants donnent à Jean-Pierre Améris la plus touchante approbation. Les Sœurs de la Sagesse, dont Sœur Marguerite était membre, disent aussi « se retrouver » dans le film. Tout cela atteste le sérieux d’un scénario qui mêle humour, tendresse et gravité avec une pudeur tellement rare aujourd’hui.

Un film sensoriel et relationnel

Dans notre monde d’images violentes, Marie Heurtin est un récit bienfaisant. Le soin porté à la gestion du son est également impressionnant. Notre oreille n’est plus éveillée à goûter une écoute de cette qualité. Le film est sensoriel et relationnel. Victoire sur la nuit ! Sœur Marguerite a compris que Marie est attachée à un petit couteau paternel. Ce lien tactile et affectif sera le déclic. La porte d’entrée d’une communication nouvelle ! Comme l’écrit Mgr Marcel Perrier : « La personne handicapée dit tant de choses en peu de mots ! Elle connaît le mystère de la vie intérieure. Pour elle aussi, la conscience est le lieu où la voix de Dieu se fait entendre ! » Marie Heurtin fut confiée par Dieu aux bons soins de Marguerite.
Mais jamais le dévouement n’est perçu comme unilatéral dans le film. Chacune reçoit de l’autre. Le don véritable est réciprocité. Jean-Pierre Améris place sa caméra au jardin de l’amour. Promettez-moi de vous faire du bien en allant, très nombreux, contempler le « miracle » du petit couteau !

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