Relire « Evangelii Nuntiandi »

Evangelii Nuntiandi

En communion avec le Pape Paul VI béatifié ce dimanche à Rome , Mgr Bernard Podvin invite à relire la remarquable exhortation « Evangelii Nuntiandi » (Edition « Parole et Silence ») .

J’étais animateur en colonie paroissiale quand l’aumônier nous annonça le retour vers le Père du Pape Paul VI. Jour de la Transfiguration ! (1978) Le Seigneur pouvait-il mieux faire signe à son serviteur que de l’accueillir en cette fête liturgique où les apôtres « après avoir regardé de tous côtés, ne virent plus personne, sinon Jésus, seul avec eux. » (Marc 9,8)

En aumônerie, nous avions appris à apprécier l’enseignement de ce Vicaire du Christ à la frêle silhouette, mais à la détermination apostolique bien reçue de Paul son Saint patron. Ne disait-il pas en 1974 cette maxime qui fera le tour du monde : « Les hommes ont plus besoin de témoins que de maîtres. Et lorsqu’ils suivent des maîtres, c’est parce que ces derniers sont devenus des témoins. »

Peut-on mieux définir l’évangélisation qu’en insistant de la sorte sur l’irremplaçable transmission du trésor de la foi dans les vases d’argile de nos générations ? Sans doute est-ce parce que Paul VI se laissa façonner, toute sa vie, par des maîtres qui l’éveillèrent à la puissance aimante de Jésus, qu’il devint orfèvre du Concile.

Sans doute est-ce parce qu’il incarna, jusque dans l’amère souffrance, la mystique du service éminent de l’Église que ce bon serviteur vient à nous de façon toujours aussi neuve, dans son exhortation apostolique « Evangelii nuntiandi ».

Évidemment, les experts nous diront que la mondialisation a changé tous les paramètres de lecture depuis qu’est offerte « à l’épiscopat, au clergé et aux fidèles de toute l’Église » cette magnifique exhortation sur l’évangélisation dans le monde moderne.

Certes, comme disent les gens cultivés, nous ne sommes plus du tout « sur le même paradigme » qu’il y a quarante ans. Les bouleversements anthropologiques, culturels et géopolitiques ne sont pas sans nous plonger dans la perplexité, et nous saisir d’effroi. De nombreux colloques concluent à l’impuissance désarmée de l’humanité devant de gigantesques défis.

Jamais peut-être, l’être humain n’aura connu semblable fascination devant ses capacités et semblable sidération devant ses fragilités. De l’éthique du vivant à l’éthique des relations internationales, qui est en mesure de nous « faire voir le bonheur » (Psaume 4) ou du moins, de nous dessiner un certain horizon ?

D’où vient alors qu’Evangelii nuntiandi ne soit pas un outil obsolète pour lire les signes des temps ? D’où vient que Benoît XVI et François s’y réfèrent si souvent, comme pour y puiser inspiration et force?

Si l’exhortation n’a pas vieilli, c’est parce que son auteur n’encombre pas son écriture d’une sociologie autosatisfaite. Si ce texte pontifical a gardé son acuité, c’est précisément parce que, tout en étant bien de son temps, il propose un sel et une lumière qui ne sont pas de ce monde. Si le Pape François trouve en Evangelii nuntiandi de quoi irriguer aujourd’hui abondamment son Évangile de la joie, c’est parce que Paul VI est allé à un essentiel qui, tel l’amour, « ne passera jamais ».

Les trois questions venues de la méditation de Paul VI à l’adresse du Synode de 1974 ont elles seulement une ride ? Travaillez-les, chers lecteurs, dans l’intimité de l’oraison et dans le dialogue fraternel !

– Qu’est devenue de nos jours cette énergie cachée de la Bonne Nouvelle capable de frapper profondément la conscience de l’homme ?

– Jusqu’à quel point et comment cette force évangélique est-elle en mesure de transformer vraiment l’homme de ce siècle ?

– Suivant quelles méthodes faut-il proclamer l’évangile pour que sa puissance soit efficace ?

Cette triple interrogation de Paul VI équilibre admirablement un ancrage absolu en Jésus et la responsabilité pastorale. Evangelii nuntiandi n’est ni une poétique désincarnée ni une méthodologie mondaine. On aurait, depuis longtemps, relégué ce texte aux archives s’il n’était habité d’une humilité et d’une passion.

 En ces moments de grâce où l’Église, par le Pape François, nous fait le don de béatifier l’inlassable et discret Paul VI, la relecture priée et partagée d’ Evangelii nuntiandi est comme un agréable devoir.

Tandis que, sur ce globe, la vie humaine est menacée, de l’embryon à son dernier souffle, en passant par l’exil climatique, la guerre et la persécution, le texte apostolique offre de quoi lutter contre la désespérance, l’animosité et l’acédie.

 Prenons appui sur les repères que Paul VI nous lègue :

– Jésus, lui-même Évangile de Dieu, a été le premier et le plus grand évangélisateur (N°7).

– L’Eglise, née de l’action évangélisatrice, doit commencer par s’évangéliser elle-même (N°15).

– Envoyée et évangélisée, elle envoie des évangélisateurs.

 Pour vivre cette mission, et ne jamais la diluer dans le pélagianisme ou la trahir dans le prosélytisme, la sagesse de Paul VI nous est nécessaire:

– Attention, nous dit-il, la libération que l’évangile annonce ne peut se cantonner dans la simple et restreinte dimension économique, politique, sociale ou culturelle, mais doit viser l’homme tout entier, jusque et y compris dans son ouverture vers l’Absolu, même l’Absolu de Dieu (N°33).

– A cette vigilance toujours actuelle, Paul VI en pose une seconde tout aussi prophétique aujourd’hui : la force de l’évangélisation se trouve terriblement diminuée si ceux qui annoncent l’évangile sont divisés entre eux par toutes sortes de rupture (N°77).

– L’Église veille-t-elle à être à la fois plus ardente dans la contemplation et l’adoration, et plus zélée dans son action missionnaire, caritative et libératrice (N°76) ?

Paul VI nous aide à ne pas spéculer vainement sur les conditions de l’annonce. Plutôt que de théoriser sur le sujet, il nous donne « à voir » l’Eglise quand elle évangélise : C’est, dit-il, « lorsque par la seule puissance divine du message qu’elle proclame, elle cherche à convertir en même temps la conscience personnelle et collective des hommes, l’activité dans laquelle ils s’engagent, la vie et le milieu concrets qui sont les leurs. » (N°18) Évidemment, depuis 1975, athéismes, incroyances, agnosticisme et sécularisation ont pris des contours complexes et subtils. Le durcissement des identités, le désarroi sociétal, le terrorisme drapé de religion, les religiosités nouvelles, ont aujourd’hui des accents terrifiants. Demeure pourtant très pertinent le propos de Paul VI évoquant « un puissant et tragique appel à être évangélisé » (N°55)

 Il y a également une forte intelligence pastorale qui se reçoit d’ Evangelii nuntiandi : l’évangélisation perd de sa force et de son efficacité si elle ne prend conscience du peuple concret auquel elle s’adresse (N°63). On retrouve ici un point cher au Pape François: « Une légitime et urgente attention aux Eglises particulières ne peut qu’enrichir l’Eglise. Mais cet enrichissement exige que les Eglises particulières gardent leur ouverture profonde à l’Eglise universelle ».

Cette tension féconde n’est-elle pas une conversion permanente, et une belle manière de définir la catholicité?

Lisons ce joyau en famille, en paroisse, en communauté. Demandons au bienheureux Paul VI de nous réveiller ! Ami de Thérèse d’Avila, il savait que rien ne se féconde sans « plusieurs fois par jour, vivre la grâce de se tenir en Jésus ».

Cette exhortation est pour nous aujourd’hui. Quittons notre torpeur. Ouvrons-nous aux grâces nouvelles de l’annonce du Christ. Lors de l’angélus du 12 décembre 1971, Paul VI disait : « C’est maintenant qu’il faut que nos esprits se réveillent ! Que nos consciences s’éclairent, et que, sous le regard illuminateur du Christ, toutes les forces de nos âmes se tendent… »

 

Mgr Bernard Podvin.
Porte-parole de la Conférence des évêques de France.

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