Surmonter l’égoïsme des États. Développer un ordre de paix.

logo_conférence_évêques_allemagneDéclaration des évêques allemands à l’occasion du centenaire du début de la première guerre mondiale.

Ce mois-ci, l’Europe commémore la première guerre mondiale qui a commencé à l’été 1914. Les dimensions de cette guerre restent choquantes jusqu’à aujourd’hui. Une guerre responsable de 10 millions de morts était, jusque-là, inimaginable. Les armes avaient acquis une capacité de destruction nouvelle ; en particulier l’utilisation de gaz létaux a contribué à la forte « brutalisation » de la guerre.

Les économies des Etats européens étaient déjà très liées et interdépendantes avant la première guerre mondiale mais les rivalités des Etats à l’âge du nationalisme se sont avérées finalement trop fortes, et les alliances qui devaient garantir la paix, trop faibles pour pouvoir empêcher le déclenchement d’une grande guerre. De plus, le souvenir des guerres napoléoniennes remontaient alors à un siècle déjà, et les temps de paix vécus depuis lors, ponctués de guerres assez « peu sanglantes », avaient affaibli la représentation des ravages qu’une grande guerre inflige aux peuples.

Au début de la guerre, un énorme enthousiasme guerrier s’est emparé des populations. Les Églises elles aussi se sont laissées contaminées. Bien que l’Église catholique, à cause de son caractère universaliste, ait toujours pris des distances avec le nationalisme du XIXe siècle, des évêques, prêtres et des croyants en grand nombre se sont rangés au début de la guerre mondiale aux côtés de ceux qui saluaient la guerre comme une force de renouvellement morale et spirituelle. Nous savons aujourd’hui, que beaucoup, qui avaient des responsabilités dans l’Église, se sont rendus coupables de ce ralliement. Ils n’ont pas pris suffisamment en compte la souffrance des victimes de la guerre et ont suivi d’une manière aveugle la cécité nationale. Ils n’ont reconnu que trop tard les graves conséquences engendrées par leur loyauté inconditionnelle à leur nation respective.

Malgré tout, il y a eu à l’intérieur de l’Église des croyants, et parmi eux des prêtres et des aumôniers militaires, qui se sont engagés pour la paix et pour la réconciliation des peuples. Et surtout, c’est le pape de l’époque, Benoît XV, qui s’est élevé comme la voix de la paix. Il a mis au centre de ses appels à la paix les destructions, la souffrance et la terreur qui constituent le quotidien de la guerre pour la population. A plusieurs reprises, le pape Benoît a appelé les parties en conflit à retourner à la table de négociation. Par la suite, les négociations de paix ont été pour lui l’occasion, par la publication d’une encyclique, d’appeler à se détourner « d’inimitiés secrètes et de tensions jalouses entre les peuples » (Pacem Dei Munus, 1920). Seul un esprit de réconciliation et de pardon authentique pourrait conduire à une paix réelle et durable. Avec le recul d’un siècle et l’expérience d’une autre guerre mondiale, on peut reconnaitre à quel point le pape avait justement su évaluer la situation et à quel point son message indiquait la bonne direction à suivre.

Les expériences de l’histoire allemande et européenne nous apprennent qu’une réconciliation profonde entre des groupes et des peuples hostiles constitue une condition préalable à un ordre de paix stable. Ce n’est qu’après la deuxième guerre mondiale, mais alors avec un grand succès, que l’Allemagne et la France se sont engagées à surmonter « l’inimité héréditaire » entre leurs peuples. Quelques années plus tard, Allemands et Polonais ont suivi un chemin similaire, et apportèrent ainsi une contribution importante pour surmonter le système de la confrontation entre blocs hostiles.

On peut dire que ce n’est qu’après la deuxième guerre mondiale que l’Europe est parvenue à donner une réponse aux questions que la première guerre avait fait surgir. Avec l’intégration européenne, qui a pris aujourd’hui la forme de l’Union Européenne, on a pu construire un ordre de paix, d’abord dans un cercle restreint, et ensuite pour une part toujours plus grande du continent : un ordre qui donne la priorité au droit sur la force et qui accorde la liberté de circuler par-delà les frontières des pays, non seulement aux biens et aux capitaux, mais aussi aux citoyens. Négocier et rechercher des compromis sont devenus un style habituel au lieu des confrontations violentes de jadis. Un regard rétrospectif sur les guerres terrifiantes devrait être pour nous une motivation pour maintenir ce projet européen et pour nous prémunir contre tout retour à un nationalisme unilatéral.

Comme Église répandue dans le monde entier et qui s’adresse à tous les hommes par son message de salut, nous devons avec beaucoup de détermination combattre le nationalisme et son corollaire, le mépris des autres peuples et des autres cultures. Notre temps exige toujours plus de prendre en compte les intérêts communs de toute la famille humaine et de contrer efficacement les forces destructrices de l’égoïsme. Développer le projet européen dans cette direction : voilà l’une des grandes tâches historiques de notre siècle.

25/07/2014
(traduction : A. Sondag)

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