Fabrice Hadjadj, lauréat du prix 2010 de littérature religieuse

Professeur de philosophie et de littérature, Fabrice Hadjadj recevra le Prix décerné par le Syndicat des librairies de littérature religieuse le 29 mars, au Salon du Livre, à Paris. Son dernier livre, « La foi des démons ou l’athéisme dépassé », nous entraîne au cœur d’une arène : celle du combat de la foi, principalement contre l’orgueil.

Comment réagissez-vous à cette distinction ?

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J’en suis heureux. L’écrivain, quoi que son snobisme puisse en dire, a besoin de reconnaissance. Ce n’est pas que par vanité. C’est parce qu’un livre ne s’achève vraiment que dans l’esprit et le cœur du lecteur. Sans lecteur, le livre est inaccompli. Ce qui me touche particulièrement, dans ce prix, c’est qu’il est remis par des libraires, c’est-à-dire des personnes qui font l’articulation avec le public. Il faut d’ailleurs admirer leur courage. D’abord, ils n’ont pas récompensé un livre d’actualité ou de témoignage, plus directement vendeur, mais un ouvrage plutôt théologique. Ensuite, cet ouvrage qu’ils ont primé aborde un sujet exigeant, dans la plus pure tradition de l’Eglise (en cela ni progressiste ni traditionaliste). Enfin, ils n’ont pas eu peur de son écriture assez littéraire, avec parfois sa fantaisie.
 

Pourquoi vous être aventuré sur un tel sujet ?

Au départ, en 2005, ce fut une invitation à faire une conférence au Collège supérieur de Lyon, dans le cadre d’un cycle sur « L’athéisme interrogé ». Le thème m’était à la fois séduisant et ennuyeux : tant de discours déjà sur l’athéisme ! Aussi l’idée m’est-elle venue de le prendre à revers. C’est alors que je fus frappé par cette évidence : l’athéisme est un mal, pour sûr, mais ce n’est pas le pire. La preuve, c’est que Satan n’est pas du tout athée. Dans l’Evangile, les démons reconnaissent immédiatement que Jésus est le Messie : « Je sais, toi, qui tu es : le Saint de Dieu » (Mc1, 24). Alors, forcément, après la résurrection, et même si ça leur fait mal aux ailes, ils ne peuvent qu’être assurés de la vérité de tous les articles de la foi catholique. Mon but n’était aucunement de faire un traité de démonologie ou de m’intéresser au diable pour lui-même. Je n’ai aucune attirance pour cela. Ce que je voulais approcher par ce travail, c’était notre tentation de tomber dans une foi qui serait sans amour et sans abandon. Une foi qui serait notre petite chose et un moyen de puissance plutôt que d’humilité. Je voudrais préciser que je ne prétends pas affirmer une doctrine nouvelle, mais, ce qui est plus difficile et plus ambitieux, montrer la nouveauté de la doctrine éternelle. J’écris en disciple, toujours, jamais en maître (il n’y a qu’un seul Maître, n’est-ce pas ?). Mon style est de chercher la plus grande originalité dans la plus grande orthodoxie.
Au final, j’y ai pris beaucoup de plaisir : celui de la pensée, de l’exégèse, de l’écriture elle-même. On parle de travail intellectuel. C’est plutôt du loisir. Je n’ai aucun mérite. Ceux qu’il faut admirer, ceux qui méritent les plus grand prix, ce sont les petits, les obscurs qui portent le poids du monde.
 

A quand votre désir d’écrire remonte-t-il ?

Je crois que j’ai commencé à écrire quand… j’ai commencé à savoir écrire. C’est une chose courante, du reste, liée à l’énergie de l’enfance. Je m’en suis aperçu avec ma fille Esther : elle a commencé à inventer des histoires et des chansons avant même de savoir bien former des lettres. Pour ma part, j’ai eu la chance d’avoir un père amoureux des livres, qui m’a encouragé dans cette direction. C’est pourquoi je suis venu au livre comme un écrivain, et non comme un « écrivant », selon la formule de Roland Barthes : la parole n’est pas pour moi qu’un moyen de communiquer un message, elle est d’abord un souffle, un rythme, un événement. Aussi je me considère moins comme un essayiste qui écrit du théâtre, que comme un poète qui fait des essais (et cela, non pour me valoriser à travers le vocable « Poète », vous savez, comme si le poète était un prophète, non, mais pour signaler un fait…) A mes yeux, si l’écriture recueille le monde, ce n’est pas pour captiver et ramener à elle, mais comme un ostensoir qui vient cibler l’ineffable dans le quotidien, qui nous tourne vers le mystère des choses et, plus spécialement, vers la merveille des visages.
 

Votre nom est arabe, vos racines juives, vous vous êtes converti au catholicisme. Vous sentez-vous une responsabilité particulière ?

Ma mission est celle de tout baptisé [Converti à l’église Saint-Sulpice à Paris, Fabrice Hadjaj a reçu le baptême à l’abbaye de Solesmes en 1998, NDLR] Elle est liée au mystère de l’Incarnation. Cette Incarnation nous incite en retour à une assomption de tout ce que nous sommes, à ne rien renier de ce que nous avons reçu, mais à le porter dans la pleine lumière : pour moi, c’est ma judéité, les résonances arabes de mon nom, mais aussi foncièrement mon appartenance française, je ne dois pas l’oublier, puisque mon destin est lié à cette langue. Et puis il y a d’autres influences qui doivent encore se faire jour : mon père étant diplomate, j’ai vécu en Afrique et en Haïti, lors de mon adolescence, pour mes années d’apprentissage (le grand poète haïtien Frankétienne m’a d’ailleurs fait l’honneur de me laisser écrire la préface de son dernier ouvrage). Et puis j’ai aussi été pendant ma jeunesse un disciple de Nietzche et de Georges Bataille. Je n’ai pas à renier cela, mais à le purifier. Le Christ n’est pas venu pour abolir, mais pour accomplir. Tout subsiste en lui, dit saint Paul. Par conséquent, la moindre parcelle de ce qui existe pour de bon, c’est dans le Christ qu’elle subsiste et qu’elle trouve son sens et son harmonie avec les autres choses. Le grand puzzle ne s’assemble qu’en nous faisant voir son Visage. Aussi sa Lumière est-elle surnaturelle. Elle n’est pas dans une culture qui devrait éliminer les autres. Elle n’est pas non plus dans un mélange des cultures. Ce qui rend cela possible, c’est à la fois « Caritas in Veritate » et « Veritas in Caritate ».
 
Citations extraites de « La foi des démons ou l’athéisme dépassé » (Editions Salvator)

« La conversion reste une épreuve jusqu’à la mort ».

« Dieu est amour, à la bonne heure ! Le diable aussi, mais il est amour-propre ».

« Dieu se cache donc assez pour que l’homme le cherche avec désir, et le cherche à travers ses frères, c’est-à-dire aussi bien dans sa belle-mère que dans un rouge-gorge ».

« Le diable est plus portable qu’un téléphone ».

« La vie divine en nous, pour peu que nous l’accueillons, à la fois attire et repousse les assauts démoniaques ».

« Les pharisiens, pardon, les chrétiens d’aujourd’hui et non les publicains et les prostitués, sont seuls capables d’approcher la perfection démoniaque, cette foi orgueilleuse, sûre de son salut, méprisante à l’égard des autres pécheurs ».

Palmarès 2010

– Prix 2010 de littérature religieuse : « La foi des démons », Fabrice Hadjadj, éditions Salvator

– Mention jeunesse : « Le voyage des Pères », David Ratte, éditions Paquet

– Mention spéciale : le « Nouveau Théo », Mgr M. Dubost, Mgr S.Lalanne, éditions Mame

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