« Des hommes et des dieux » fait revivre l’esprit de Tibhirine

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Directeur du Service national pour les relations avec l’Islam, le Père Christophe Roucou a déjà vu deux fois « Des hommes et des dieux » de Xavier Beauvois, avec des responsables chrétiens et musulmans. Le film qui s’inspire de la vie des moines de Tibhirine (Algérie), assassinés en 1996, a reçu le Prix du Jury œcuménique, le Grand Prix du Festival de Cannes et le Prix de l’Education nationale.
 

Pourquoi ce film vous paraît-il important ?

C’est un film émouvant. Je suis frappé que Xavier Beauvois qui se dit agnostique puisse faire ressentir à travers les images, la musique et le jeu des acteurs, la présence de Dieu dans la vie de ces hommes.
Ce qui m’a marqué aussi, c’est que le film est centré sur le chemin pascal des moines. Ils sont mis petit à petit devant cette décision grave à prendre : rester ou partir. Ils ont fait le choix de la solidarité avec le petit peuple avec lequel ils s’étaient liés et avec lequel ils avaient des contacts quotidiens : à travers frère Luc, médecin, qui les soignait ou par les frères qui travaillaient avec les paysans algériens au monastère. Ce qui l’a emporté pour eux, c’est le choix qu’ils avaient fait, à cause de leur foi en Dieu, de se lier à ce peuple, malgré les violences qu’ils subissaient et le risque de la mort.
Le film donne aussi à voir la manière dont la vie des moines est rythmée par la vie de prière. Le réalisateur montre que la vie des Algériens l’est aussi, même si c’est plus discret. Les hymnes des moines répondent à l’appel à la prière du muezzin.
Je retiens la justesse de ce film par rapport à ce qu’on vécu les moines. Mgr Henri Teissier, archevêque émérite d’Alger, estime que le film y est fidèle, notamment le personnage de frère Luc qu’il a connu et qui est joué par Michael Lonsdale.
 

C’est pourtant une œuvre de fiction, librement inspiré par la vie des moines…

C’était le pari des auteurs Etienne Comar et Xavier Beauvois d’atteindre l’esprit de Tibhirine par la fiction. L’esprit de Tibhirine est présent dans ce film. Mgr Teissier a trouvé très juste l’évocation de ce que les moines vivaient avec leurs frères Algériens, leur engagement dans la vie de prière et le chemin qui les a conduits à la mort, en solidarité avec le peuple avec lequel ils avaient choisi de vivre. Le Père Thierry Becker qui fut vicaire général de Mgr Claverie, l’évêque d’Oran assassiné quelques semaines après les moines, était à Tibhirine le jour de l’enlèvement des moines, il a apprécié ce film.
Il est vrai que c’est une fiction. Par exemple, la scène dans laquelle les moines participent à la cérémonie de circoncision chez des villageois est probablement inventée par Etienne Comar, le scénariste, mais elle dit fortement le lien, y compris religieux, entre les moines et les habitants. L’événement lui-même n’a peut-être pas existé mais ce qui en ressort est juste.
La vie des moines était une vie autour de laquelle il n’y avait aucune publicité. Ils ne le souhaitaient pas. En touchant des personnes qui ne les ont pas connus ou qui ignoraient leur existence, le film offre à leur vie une fécondité nouvelle.
Après avoir vu ce film, un ami musulman, imam, très engagé dans le dialogue avec les chrétiens, m’a confié : « Le mot « Amen » que je dis de nombreuses fois par jour, c’est en voyant le prêtre, au cours de l’Eucharistie, dire à un moine : « Le corps du Christ » et lui répondre « Amen », que j’en ai compris le sens : « Je crois ». Pour moi, c’est très fort spirituellement que par ce film, un musulman comprenne quelque chose de sa propre foi et d’un acte de foi qui nous est commun, même si c’est de manière très différente. C’est pourquoi je parle de fécondité. Ce film va porter ce que les moines ont voulu vivre bien au-delà des limites de Tibhirine et de l’Algérie. Cette œuvre montre comment, dans un contexte particulier, des chrétiens et des musulmans vivent quelque chose ensemble de manière très simple mais au nom de l’amour.
 

Qu’est devenu le monastère de Tibhirine ?

Après l’assassinat des moines en mai 1996, les cisterciens ont eu le désir de poursuivre une présence parce que c’était leur seul monastère en terre d’Islam. Mais au bout de 4 ans, ils se sont retirés. Pourtant, ils avaient replanté une centaine de pommiers. Le Père Jean-Marie Lassausse, prêtre de la Mission de France avec qui j’ai été en équipe en Egypte, a pris humblement le relais d’une présence à Tibhirine. Il est responsable du domaine et s’y rend, depuis Alger, quatre fois par semaine. Dans son livre, Le jardinier de Thibirine, il dit bien qu’il ne remplace pas la communauté monastique mais qu’il est là pour que l’esprit de Tibhirine qui animait les frères de Notre-Dame de l’Atlas continue à se vivre sur place : le travail agricole avec des villageois continue, une sœur blanche anime un atelier de broderie avec des femmes du village. Cela devient un lieu de pèlerinage pour des chrétiens mais aussi pour des Algériens musulmans, soignés par le frère Luc, qui viennent s’y recueillir. Des Sœurs de Bethléem s’y rendent régulièrement. Il y a aussi Robert, un ermite, prêtre français, qui vit toujours dans la ville de Tamesguida.
 

Quel est le visage de l’Eglise catholique d’Algérie aujourd’hui ?

Ce visage change depuis quelques années ! Avec les «années noires » que l’Eglise a traversées avec le peuple algérien, son visage a changé. Les évêques et supérieurs avaient invités chacun à se déterminer en conscience : rester ou partir. Ainsi les Clarisses d’Alger parties à Nîmes, il n’y a plus de présence monastique en Algérie mais des prêtres, des religieux et religieuses sont restés. Dans son numéro de janvier 2010, la revue interdiocésaine « Pax & Concordia » relève cinq traits nouveaux de ce visage : quelques Algériens sont attirés par le Christ et l’Evangile, moins nombreux chez les catholiques que chez les évangéliques mais un chemin se fait avec eux. Les laïcs présents sont en majorité des étudiants originaires d’Afrique noire. Ils sont la force vive de cette Eglise d’Algérie, avec eux sont aussi arrivés des religieuses et des prêtres Fidei Donum africains. Le troisième aspect, c’est la présence de migrants qui essaient de gagner l’Europe : comment vivre la charité et la solidarité avec eux alors qu’ils sont nombreux et que l’Eglise est toute petite ? Il y a encore le développement de communautés chrétiennes évangéliques. En février 2010, les quatre évêques d’Algérie ont pris position à la suite de l’incendie d’une maison de rassemblement de ces chrétiens, s’ils ne sont pas toujours d’accord sur les méthodes des évangéliques, ils sont solidaires d’eux quand ils sont attaqués à cause de leur foi au Christ. Enfin, l’Eglise d’Algérie devient une Eglise davantage catholique, c’est-à dire universelle, avec des chrétiens africains, d’Egypte, du Liban… Une page de son histoire, liée à l’Europe et à la colonisation, est en train d’être tournée, à l’exemple de la nomination du nouvel archevêque d’Alger, Mgr Ghaleb Bader qui est Arabe. Mais ses moyens sont limités car il est difficile aujourd’hui pour des prêtres, des religieuses ou des laïcs chrétiens d’avoir l’autorisation de résider en Algérie. C’est dans ces circonstances que l’Eglise d’Algérie aujourd’hui doit trouver comment rester une « Eglise de la rencontre » avec les Algériens, tout en constituant ces communautés chrétiennes très diversifiées.

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Soirées spéciales autour du film

De nombreuses avant-premières et soirées spéciales sont programmées autour du film « Des hommes et des dieux » de Xavier Beauvois. L’histoire des moines de Tibhirine est l’occasion de parler des relations islamo-chrétiennes aujourd’hui. 

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