Engagé dans la lutte contre l’esclavage moderne

Le Frère Xavier Plassat, o.p., lutte depuis vingt-cinq ans contre le travail esclave au Brésil. Il était, les 25 et 26 avril 2014, invité aux Journées organisées sous l’égide du Pôle Amérique latine du Service National de la Mission Universelle de l’Eglise (SNMUE). Témoignage.

Quel message essentiel avez-vous partagé avec les participants aux journées Cefal ?

xavier_plassat

Aborder le thème de la lutte contre le travail esclave en plein XXIe siècle a quelque chose d’irréel : on semble parler d’une réalité antédiluvienne. Or, pour quasi invisible qu’elle soit, elle touche pratiquement tous les pays. Notre première tâche est d’ouvrir les yeux pour voir cette réalité, la comprendre et la faire reculer. Au Brésil, où je travaille depuis 25 ans avec la Commission Pastorale de la Terre (CPT), notre slogan est : « Ouvre l’œil pour que personne ne fasse de toi son esclave ! ». Un véritable mouvement a fini par se créer pour éradiquer l’esclavage moderne. Aujourd’hui le Brésil est une référence en la matière, mais nous sommes encore loin d’avoir réglé le problème.

Quelle est votre démarche au quotidien ?

Le « travail esclave » n’est pas une anomalie due à la perversité d’un employeur. C’est une composante fonctionnelle d’un système articulé autour du profit à tout prix, de l’impunité, de la misère. Le travailleur soumis est le plus souvent afro-descendant, condamné à de constantes migrations à la recherche de possibles eldorados. C’est sur cette route de la migration forcée que se trouvent les équipes de la Campagne de la CPT, entre le Nordeste et les nouvelles frontières agricoles du Nord et de l’Ouest. Nous faisons un travail d’accueil, de prévention, d’organisation, de multiplication du message de vigilance. Nous agissons à la base, nous recueillons les plaintes de ceux qui fuient, nous exigeons l’action des autorités et nous imaginons des alternatives pour éviter que le cercle vicieux de l’esclavage se perpétue. Près de 1200 cas ont été dénoncés par la CPT depuis 2003, conduisant à la libération de près de 8500 personnes.

À quels défis êtes-vous confrontés ?

Le premier défi est celui de l’invisibilité. On peut ne pas voir, mais aussi de ne pas vouloir voir, ou considérer ces situations comme « normales ». Le Brésil a « importé » 5 millions d’africains durant plus de trois siècles de traite négrière. Le racisme, toujours nié, reste très ancré. Un second défi est de dépasser les solutions immédiates. Il faut sortir de l’esclavage, rompre aussi les mécanismes qui le produisent et reproduisent. Oui, la traite des êtres humains est un autre mot pour dire l’esclavage moderne. La traite, c’est le commerce de personnes, leur réduction à l’état de marchandises dans le supermarché géant qu’est devenue notre planète. La traite ne se limite pas au problème des migrations internationales ni à celui de la prostitution, du travail forcé ou encore du crime organisé. C’est l’exploitation des êtres humains comme des choses corvéables à merci. Elle commence parfois chez nous ou notre voisin, ici, maintenant dans l’indifférence.

Quels premiers fruits de votre engagement percevez-vous ?

Nous sommes loin d’avoir gagné la partie et il est parfois dur de constater combien nos politiques s’éloignent des priorités sur lesquelles ils ont été élus. Nous considérons pourtant que nous avons fait du chemin : cette année, la conférence épiscopale brésilienne a retenu le combat contre la traite des êtres humains comme thème de la « Campagne de la Fraternité », initiée avec le Carême ; plus de 400 entreprises, qui représentent jusqu’à 30 % du produit national, s’engagent à boycotter les filières de production et les entreprises qui pratiquent l’esclavage ; un plan national pour l’éradication du travail esclave a été mis en place. Et de nombreuses personnes disent, avec les millions de jeunes brésiliens descendus dans les rues en juin dernier : « C’en est assez ! Nous voulons un vrai système de santé, une vraie éducation, une vraie réforme politique ».

Comment recevez-vous l’appel du Pape François à lutter contre le travail d’esclave et la traite des personnes ?

Cet appel vient d’un homme qui a beaucoup lutté sur ce front dans son pays d’origine et qui est maintenant au service de l’Église universelle. Je ressens son initiative comme une campagne mondiale de la fraternité contre l’esclavage moderne, une campagne de longue haleine, qui pourra mobiliser toutes les bonnes volontés. Elle nous incite et nous inspire à continuer sur cette route. Réduire en esclavage, traiter quelqu’un comme une bête, voire comme une chose, n’est-ce pas la pire manière de nier notre commune filiation, notre fraternité, notre Dieu ?
Les chiffres de l’esclavage aujourd’hui

États-Unis : 20 000 selon le Président Obama ; 60 000 selon le Mouvement international WalkFree
Europe : 880 000 selon le magazine allemand Spiegel
Brésil : 50 000 esclaves libérés au cours de 20 dernières années
Inde : plusieurs millions
Monde : 21 millions selon l’Organisation internationale du travail ; 29,8 millions selon WalkFree.

 

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